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Didier Tabuteau, dans un entretien au JDD, le 20 Octobre 2013 appelle à « reconquérir la sécu », devant le risque d’une privatisation de celle-ci. En passant de 80% en 1980 à 75% aujourd’hui, du remboursement des soins, dit Didier Tabuteau, la Sécurité Sociale a perdu une place au profit des complémentaires. Et pour lui, ce chiffre de 75% est trompeur. Car « si les maladies graves, chroniques et la chirurgie restent très bien couvertes, seuls 50 % des soins de la vie courante sont pris en charge ».

Pour lui, cette place des complémentaires est « un non-sens économique. Les Français sont 95 % à avoir une complémentaire, mais ça ne veut rien dire. Il y en a de très bonnes et de très mauvaises, de très solidaires et de très inégalitaires. Pour faire face à l'augmentation des dépenses de soins et aussi à de nouvelles taxes, les complémentaires ont revu leurs tarifs à la hausse. Or, contrairement aux cotisations de Sécu, celles-ci augmentent avec l'âge et avec les charges de famille et ne sont que rarement en proportion des revenus.… ».

Dans cet interview, Didier Tabuteau affirme qu’une reconquête de la sécu ne coûterait pas un euro de plus à la collectivité. Et de développer son approche « la hausse nécessaire de la CSG, prélèvement beaucoup plus égalitaire que les primes d'assurance, serait compensée par une baisse des cotisations de complémentaires. Ce serait un transfert de pouvoir d'achat important vers les plus modestes. Autre moyen de financement : la réduction des avantages fiscaux et sociaux de certains contrats de complémentaires… il est contestable de subventionner cette mesure (généralisation de la complémentaire santé) au moyen d'exonérations fiscales et sociales…».

Je pourrais suivre Didier Tabuteau dans son analyse…

En effet, les constats qu’il rapporte sont réels. De nombreuses inégalités demeurent dans l’accès aux soins et les complémentaires sont aussi fortement inégalitaires.

Par ailleurs, les partisans de la libre concurrence et du tout marché donnent de la voix et refusent, quant à eux, de constater les inégalités que provoquent la non régulation dans l’accès aux soins. L’éditorial de Jean Francis Pécresse dans les échos du vendredi 25 Octobre constitue de ce point de vue un morceau choisi d’idéologie libérale qui est à l’œuvre pour faire de la santé un marché juteux pour les assureurs. Il ne peut y avoir pour lui de principe supérieur « au principe élémentaire de la libre concurrence ». Jamais dans son édito il ne parle de la difficulté d’accès aux soins, ni de la nécessité d’organiser la solidarité. Pour lui les choses sont entendues : « le motif invoqué (pour organiser la solidarité) qui est d’homogénéiser les garanties offertes aux salariés ne doit tromper personne car aucun assureur sérieux ne peut penser que la branche professionnelle est l'échelon pertinent pour y parvenir ». Ce discours était celui que tenaient ces prédécesseurs libéraux de la fin du XIX° et début du XX° siècle, pour combattre les conventions collectives qui ne pouvaient être que des entraves à la libre concurrence et au pouvoir patronal.

… Mais pourtant, je ne le suivrais pas.

Entre le « Tout Etat » et le « Tout marché », il y a des alternatives. Dans l’approche de Didier Tabuteau, comme dans l’approche des tenants du marché, l’organisation de l’offre de soins n’est pas abordée. Pourtant l’accès à des soins de qualité pour tous, c’est bien sûr une couverture permettant de prendre en charge les frais de santé, mais c’est aussi une offre organisée, pilotée et accessible sur l’ensemble du territoire. Une offre qui ne soit pas seulement l’addition de professionnels de santé enfermés dans leur spécialité, leur cabinet, leur clinique, leur labo ou leurs hôpitaux.

La limite de la « reconquête de la sécu », défendue par Didier Tabuteau et les signataires de la pétition « Pour un débat public sur la santé », est de ne rien dire sur l’organisation de l’offre. Dès la création de la Sécu, le choix est fait de ne pas intervenir dans l’organisation de l’offre libérale qui s’organisera selon les principes de la charte de 1926 (liberté d’installation, de prescription et de tarification et liberté pour le patient de choisir son médecin).

Les tentatives de régulation de l’offre libérale par les politiques conventionnelle à partir des années 60, se sont fracassées contre le mur de l’intransigeance des professionnels. L’Etat a alors décidé en 1980, pour maintenir une politique conventionnelle, de créer un secteur à honoraires libres. Aucun gouvernement de droite comme de gauche n’est revenu sur cette décision, montrant par-là que la régulation étatique est très difficile, voire impossible dans un système où l’offre de soins est plurielle dans ses statuts et son organisation.

C’est d’ailleurs cette défaillance de l’Etat et sa décision d’ouvrir les vannes avec la création d’un secteur à honoraire libre qui a progressivement amenée les assureurs capitalistiques, à s’intéresser au marché de la santé. Il est d’ailleurs assez logique que l’extension de « la matière assurable », par l’ouverture des vannes de la part de l’Etat, ait attirée les assureurs sur ce marché. Il est incontestable que la présence d’acteurs dont l’objet est de rentabiliser leur entreprise au service d’abord de leurs actionnaires, a eu un effet déstabilisateur sur l’ensemble du segment de la complémentaire, circonscrit jusqu’alors à la prise en charge du ticket modérateur. C’est ainsi que l’on peut être tout à fait d’accord avec Didier Tabuteau quand il dit que « la santé n'est pas un secteur économique comme un autre : la concurrence y accroît les coûts. D'au moins 10 à 15 % pour les complémentaires ».

Mais pour faire des propositions qui aient des chances d’être carrossables pour une organisation plus efficiente du système de santé, encore faut-il que le diagnostic aborde l’ensemble des questions. Or, Didier Tabuteau ne dit pas comment dans le cadre d’une reconquête de la sécu, cette dernière peut réussir aujourd’hui, ce qu’elle n’a jamais réussi, à savoir organiser l’offre de soins et plus généralement participer à l’organisation efficiente du système de santé. Par exemple, ce ne sont pas les complémentaires qui sont responsables de la privatisation d’une partie de l’offre hospitalière.

  • Comment se fait-il que près de 60% de la chirurgie se réalise aujourd’hui dans des cliniques privées ?
  • Comment se fait-il que nous avons une politique du médicament qui est largement dominée par les lobbys pharmaceutiques ?
  • Comment organiser un système qui est constitué d’une part de multiples acteurs privés dans l’offre de soins (Cliniques privées, industries pharmaceutiques, ambulatoire libéral, pharmacie….), à côté d’une offre publique essentiellement hospitalière et d’autre part un financeur public (Assurance maladie) sans véritable pouvoir de régulation et des financeurs complémentaires à qui on refuse d’être acteur dans la gestion du risque ?
  • Comment notre système de soins et notre système de santé peut s’organisé pour permettre un accès aux soins de qualité à tous, en situant le patient, l’usager dans une logique de parcours, prenant en compte la prévention, l’éducation thérapeutiques, les soins, le suivi et l’accompagnement médico-social…?

Autant de questions auxquelles les tenants de la pétition ne répondent pas.

Je ne suis pas du tout sûr que la reconquête de la Sécu à laquelle appelle Didier Tabuteau et les signataires de la pétition, réponde à ces questions essentielles auxquelles nous sommes confrontées :

Nous avons en France un système hybride. Entre Beveridgien et Bismarckien à l’origine, il est devenu atypique en comparaison aux systèmes des autres pays d’Europe. N’y-a-t-il pas là une opportunité à saisir ?

Sur ce blog, le 3 Juin et le 11 juillet 2013, je développais des pistes pour créer les conditions pour que la généralisation de la complémentaire santé s’inscrive dans une dynamique de lutte contre les inégalités, et pour un accès à un système de santé efficient.

Je ne prétends pas avoir raison à moi tout seul, mais il me semble qu’il y a place à un autre débat que celui auquel on assiste actuellement dans l’espace public, entre le tout Etat et le tout marché.

2 rapports récents sont de nature à alimenter ce débat public :

Celui d’Alain Cordier et du comité des sages sur la Stratégie Nationale de Santé : « Un projet global pour la stratégie nationale de santé » (voir fichier joint)

Celui du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie de Janvier 2012 : « Avenir de l’assurance maladie : les options du HCAAM » (voir fichier joint)

Gaby BONNAND

Tag(s) : #Santé, #Sécurité sociale, #TABUTEAU, #Système de santé
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