Durant les 2 jours qu'a duré le cessez-le feu entre Israël et le Hamas, le conflit a quitté, à l'heure où j'écris l'article, les Unes des quotidiens ou des sites d'infos, comme des titres des journaux radios et télés.
Nous avons vécu durant près d'un mois au rythme des combats que se livrent Israël et le Hamas, au Proche Orient.
Les moyens extraordinaires déployés par les médias qu'ils soient écris, radios, télés, sans oublier les sites internet, pour donner à voir les différents terrains de conflits dans le monde, (aux risques de la vie de journalistes), contribuent sans aucun doute à une transparence utile au fonctionnement démocratique de nos sociétés. Nous savons que cela peut susciter des moyens de pression sur les décideurs par une mobilisation des sociétés civiles.
Nous savons également que la prudence doit être de mise car nous connaissons les effets pervers que cela peut susciter: manipulation de l'information, recherche du scoop, désinformation organisée... Mais une pièce a toujours 2 faces et il est difficile de supprimer une face sans supprimer la pièce.
Cette place de l'information quotidienne ou plus fréquente encore avec les chaines d'info en continu ou internet, est devenue incontournable. On peut le regretter, on peut s'en réjouir. Le sujet n'est pas là.
Je considère pour ma part que toute entrave à l'information est problématique pour la démocratie. Pour autant je pense que l'information est devenue aussi un marché sur lequel de nombreux acteurs se font la "guerre" pour capter des parts, toujours plus grandes de ce marché. D'où la prudence que j'évoquais plus haut. En effet le soucis d'une information la plus juste ou la plus approfondie peut être entravé par la recherche de l'information qui va faire augmenter la part de marché. Cette entrave est aussi dommageable pour la démocratie que l'atteinte à la liberté d'information par des lois liberticides.
L'information avec un grand "I" n'existe, pas plus que n'existe une explication binaire des choses. La réalité du conflit n'est pas unique. Il y a des réalités. Il n'y a pas une façon de concevoir l'avenir au Proche Orient, il y a des façons de penser l'avenir. Il y a des façons de penser l'avenir au sein même du peuple Israélien, comme au sein du peuple palestinien.
Durant le mois qui a vu le conflit Israélo-palestinien connaître une nouvelle poussée de violence faisant des centaines de morts parmi les civils palestiniens de Gaza et près 50 morts parmi les militaires israéliens, la couverture médiatique, avec tous les moyens déployés, ne peut qu'aboutir à privilégier l’événementiel et à produire des réflexes, des analyses plus empruntes d'émotions que des analyses rationnelles prenant en compte l'historicité du conflit et la complexité de celui-ci.
Ce n'est pas un reproche. C'est un fait et il est probablement très difficile d'échapper à cela. D'ailleurs faut-il y échapper ? Cette émotion suscitée par par les massacres de civils innocents n'est-elle pas l'expression de notre "humanité"? Et la possibilité d'expression de cette" humanité" n'est-elle pas consubstantiel à la démocratie?
Cependant l'émotion ne peut être le seul moteur de notre analyse. Sans exclure celle-ci, je crois nécessaire la recherche à comprendre. Pas comprendre pour justifier les positions des uns ou des autres. Comprendre d'abord comme citoyen du monde. Comprendre ensuite pour participer là où nous sommes à favoriser des débats pour s'enrichir et soutenir ceux et celles qui, en Palestine et en Israël se battent avec beaucoup de difficultés pour faire entendre d'autres voix que celles des armes.
Autant il est facilement compréhensible que les populations concernées par le conflit puissent développer des analyses empruntes d'émotions, de ressentiments, encore qu'en Israël comme à Gaza ou en Cisjordanie des voix s'élèvent pour affirmer que d'autres voies sont possibles, autant il me semble totalement irresponsable d'alimenter, dans les différents pays moins "directement" concernés (mais concernés tout de même) par le conflit, la logique de guerre, par des positionnements reposant sur l'émotion, sur l'instrumentalisation de la souffrance, de la détresse ou de la peur des uns et des autres, ou encore sur des règlements de compte politique interne à chaque pays .
Il me semble que nous, citoyens de pays, moins directement impliqués dans le conflit, avons des responsabilités pour se positionner avec plus de recul, pour chercher à comprendre et éviter de tomber dans le piège d'une approche binaire, et éviter aussi de tomber dans des postures de donneurs de leçons toujours très faciles lorsque nous ne sommes pas touchés directement dans notre être.
Notre responsabilité d'Homme libre et de Citoyen est directement interrogée par ce flot d'informations. Ne pas connaitre ce qui se passe évite de se situer, ou peut même servir de prétexte à un désintérêt. Mais aujourd'hui, ne pas connaitre, ne pas savoir n'est pas possible devant le flot d'informations. Un sentiment bizarre vient nous habiter. la crainte d'être un lâche nous envahi et la question de notre positionnement est posée. Mais les termes du débat qu'on nous demande de trancher sont souvent piégés par la rapidité de l'information et l'ampleur des événements. Nous sommes soumis à la pression des réponses simplistes: "Tu es pour les palestiniens et contre Israël, ou tu es pour Israël contre les palestiniens".
Je refuse ce choix simpliste.
Je condamne les massacres d'innocents palestiniens par centaines, perpétrés par l'armée Israélienne. Aucune cause ne justifie de s'en prendre à des innocents. Mais cette condamnation ne fait pas de moi un anti-Israélien Je suis au contraire solidaire des manifestations régulières à Tel-Aviv organisées par le mouvement "La paix maintenant" pour crier "Stop à la guerre et à l'occupation" et affirmer qu'il "ne peut y avoir de solution militaire, mais uniquement politique".
Je condamne les politiques des gouvernements israéliens qui ont affaibli les forces politiques palestiniennes capables de négocier, et par voie de conséquence, favorisé le développement de mouvements extrémistes. Mais cette condamnation de la politique actuelle d'Israël ne fait pas de moi un antisémite, ni un antisioniste. Je soutien qu'il ne peut y avoir de paix durable dans cette région si l'existence d'Israël n'est pas un principe reconnu par tous les pays et par toutes les forces politiques de tous les pays de la région et si la sécurité de l'Etat d’Israël n'est pas assurée.
Je condamne les méthodes du Hamas qui vise par ses actions violentes la déstabilisation de l'Etat d'Israël dont il n'a pas reconnu à ce jour le droit d'existence. Je condamne les atteintes aux libertés perpétrées par le Hamas dans les territoires qu'il administre. Mais ces condamnations ne font pas de moi un anti-palestinien. Au contraire je défends le principe d'un Etat Palestinien sécurisé dans ses frontières, reconnu par tous les pays et en premier lieu par Israël. Aucune paix n'est durable sans cela.
Oui je ressens une réelle difficulté à exprimer mon positionnement et à le rendre visible au travers des manifestations organisées actuellement, auxquelles je ne me suis pas rendu et auxquelles je ne me rendrais pas dans l'état actuelle des choses. Le poids et la violence des événements, les passions qu'ils suscitent rendent inaudible l'expression d'un positionnement autre qu'un positionnement binaire.
On peut toujours se dire que c'est possible mais aujourd'hui je n'y crois pas mais ne demande qu'à y croire.
Je ressens aujourd'hui un sentiment qui est proche de celui exprimé pare Gilles Servat, chanteur breton,dans sa chanson "Je ne hurle pas avec les loups" écrite en 1983, et que je trouve terriblement d'actualité, même si des termes ont un peu vieilli.
"Je ne hurle pas avec les loups! Je dis, à vous tous qui m'écoutez : méfiez-vous. Les gentils, les méchants, c'est pour les enfants. Le bien est dans le mal comme la chaleur est dans Ia flamme. La vie est confuse, les héros vieillissent, les martyrs enfantent des bourreaux! Rien n'est simple, même Solidarité! Rappelez-vous, Israël, le Liban, Pnom-Pehn libérée, le départ du tyran de Perse Vers.I'Ayatollah, vers le vieil homme à la barbe lumineuse coulait la sympathie comme un fleuve invincible. Et voici : le flot de ferveur est devenu fanatisme. La dictature des croyants a éteint la lumière. Le vieillard noir, assis sur les cadavres, nous l'avons chassé de nos coeurs. Dans nos poitrines, la place était vacante pour accueillir les résistants des vallées afghanes. L'imam, démon obscur, les Afghans, héros clairs et purs, voilà l'image qu'on nous présente! La même religion les guide et les arme. Quand les résistants gagneront quel voile viendra cacher la face de l'afghanistan? Non, je ne soutiens pas l'envahisseur. Il est exécrable, indigne, brutal, odieux, méprisable, inhumain, dégueulasse! Il doit quitter le territoire afghan tout de suite, aujourd'hui, ce soir, et cesser sa soie guerre honteuse et inutile. Je crie dehors! Mais ne m'en demandez pas plus. L'agression ne change pas l'agressé en héros clair et pur. Ne me demandez pas d'entrer dans le jeu truqué du choix simpliste le Coran ou le Capital, le tchador l'american way of life, le Pape ou le P.O.U.P., les catholiques ou les protestants, l'infarctus ou le cancer, le gaz russe ou l'atome, le coup de poing dans la gueule ou le coup de pied au cul, les SS 20 ou les Pershings. Choisis! Dans les airs se joue un opéra titanesque. A l'ouest les cons d'or. A l'est, les cons d'acier. Au milieu, les pauvres cons! Choisis ton con, camarade! Je choisis le doute! Finis, les mains jointes, les yeux fermés, Ia bouche ouverte! Je ne veux plus croire. Je veux savoir, connaître, comprendre, pénétrer, saisir, appréhender, juger en connaissance de cause, poser le doute comme principe Je veux laisser les certitudes aux bulldozers! Je choisis le doute et la non-violence! Il y a deux violences. La première, celle qu'on impose, l'ordinaire, avec sa gueule d'homme ordinaire La seconde, celle qui répond au silence. Celle-là, je la comprends. C'est un cri! Se taire sur l'injustice précipite la violence. Le silence, notre silence est lui-même une violence! Censeurs, tripatouilleurs d'informations, trieurs de nouvelles, menteurs, étouffeurs de vagues, toutvabienistes, jeteurs de voiles pudiques, autocenseurs peureux, complices par omission, vous êtes tous des allumeurs de violence! Combien faut-il de morts pour desserrer vos dents? Envoyez vos barèmes! La seconde violence, je la comprends. Mais, une fois brisé le silence, quand elle continue, elle devient ordinaire. Elle ne règle rien. Elle est injuste. Elle affaiblit les causes justes. Quelque part, en Angleterre, une bombe. Sur le trottoir, un enfant tombe, le visage arraché Le sacrifice de Bobby Sands et de ses amis s'estompe Les index braqués sur Londres s'abaissent .. Et l'Irlande, seule, pleure ses fils et leur message anéanti.., Je choisis le doute, la non-violence et la dignité. Je défendrai la dignité des êtres et même des choses. La dignité des hommes, des animaux, des plantes, des pierres, des pays, des langues, du travail, des peuples, des mers, des paysages, des sols, des algues, des tribus, des pensées, des enfants, des poissons, des insectes, des races, des continents, des céréales, des femmes, des labours, des maisons, de la paix, des étoiles, des planètes Qu'elle est belle, dans l'espace, la Terre d'azur spiralée de lait! Sa dignité est entre nos mains! L'homme seul peut la dégrader, car l'homme, seul, est conscient! La dignité de la Terre est entre nos mains. Partout s'assemblent et s'organisent des hommes et des femmes qui refusent la rigidité d'un monde cadavérique. Partout de nouvelles formes d'action paraissent, pour en finir avec l'économie coloniale, brûler les racines de la misère, court-circuiter les multinationales cachées derrière les dictatures, abattre les murailles entre les races, pulvériser les temples du profit, déchausser la médecine, reprendre les terres, diversifier les cultures, produire sur place des médicaments simples, abolir les tortures, apprendre à lire, ouvrir les prisons, donner la parole aux pauvres, écouter ce qu'ils ont à dire! Partager! Partager la Terre entière! Chaleureusement! Enfin.arrive le temps du concret! Enfin, on cesse de faire entrer de force la réalité dans le moule des idées! Enfin arrive le temps du respect! Difficulté suprême.. Laisser libres les pensées différentes Que chacun regarde en soi. La bête est là, tapie, sournoise, prête à tout dévorer. L'hydre du fascisme est en chacun de nous. Chaque soir je la décapite. Chaque nuit ses tètes repoussent dons ma tète. Parfois, elle me soumet. Parfois, je suis vainqueur En moi : l'intolérance, moisissure fadasse je ne vaincrai jamais définitivement Mais, sans relâche, je décapiterai le monstre. Jamais je ne prendrai la Kalachnikov pour imposer mes idées, ma loi ou ma croyance. J'ai trop peur d'avoir tort!"
Gaby BONNAND