La proposition d’une modulation des allocations familiales par l’exécutif, n’arrête pas de susciter des réactions.
Les questions posées par cette mesures tiennent à la fois à la manière dont cette décision a été prise, aux conséquences que cela peut ou va avoir sur notre système de protection sociale en général, sur les éventuelles remises en cause de situations acquises sans oublier le débat sur les fondements de notre système qui aurait inscrit l’universalité dans ses fondements.
En ce qui me concerne, je considère qu’il n’y a aucune question taboue sur la politique familiale dans un monde où ne cesse de progresser les inégalités y compris entre les hommes et les femmes.
Pour moi, si les valeurs de solidarité, de lutte contre les inégalités sont intangibles, leur mise en œuvre et leur effectivité ne peuvent s’exonérer de la prise compte du réel.
En conséquence, la décision de moduler les allocations familiales en dessus d’un certain seuil de revenu suscite un débat qui me parait être tronqué.
Il me parait être tronqué par la manière dont il est arrivé dans l’espace public et par l’absence de lien entre cette mesure de modulation et l’assiette des cotisations. Ce qui donne à cette décision une impression d’impréparation et d’improvisation.
Il me parait être tronqué, et il était évident qu’il le soit, puisque le Haut Conseil de la Famille qui a eu l’occasion de se pencher sur cette question plusieurs fois, n’est jamais arrivé à un consensus.
Il me parait être tronqué dans la mesure où il se concentre sur la pertinence ou non de cette mesure sans lien avec une réflexion sur le besoin des familles aujourd’hui.
Dans un monde marqué par une féminisation forte du marché du travail, une inégalité non moins forte, entre les hommes et les femmes, un manque flagrant de moyens permettant notamment aux femmes de pouvoir concilier vie professionnelle et vie familiale, il est tout de même surprenant que le débat se focalise, pour les uns, sur la notion d’universalité des prestation et pour les autres, sur la défense de situations acquises.
Débat d’autant plus surprenant que notre système d’aide aux familles repose sur 3 piliers : Le quotient familial, les avantages familiaux liés aux régimes de retraite et les allocations familiales. Seules les allocations familiales ne sont pas dépendantes des ressources des familles.Ce qui a pour effet de générer un système loin d'être universel.
Nous n’avons pas souvent vu ceux qui défendent les positions acquises, se manifester pour dénoncer les inégalités d’un régime fiscal qui aide les familles de façon inversement proportionnelle à leur revenu. En effet le quotient familial avantage par construction, les familles qui gagnent le plus[1].
Nous n’avons pas souvent entendu non plus ceux qui aujourd’hui disent, que « considérer qu’un enfant de riches a moins de besoins qu’un enfant de pauvre, c’est briser l’universalité de la protection sociale »[2], manifester leur souhait de voir redéfinir les conditions de mise en œuvre des avantages familiaux liés à la retraite, pour que ceux-ci répondent d’avantage à un besoin d’égalité de traitement des enfants.
Si nous pouvons considérer que la politique familiale vaut mieux qu’un débat au détour d’une mesure économique et budgétaire, il nous faut dire aussi qu’il est grand temps de mettre en perspective nos politiques sociales. Cela vaut aussi pour la politique familiale. « Tourner les politiques sociales vers le futur » nous dit Bruno Palier dans une introduction au livre de Gosta Esping-Andersen « Trois leçons sur l’Etat providence »[3].
Le chapitre 2 de ce livre « enfants et égalité des chances » est à lire et à relire. Il donne à voir que le débat concernant la politique en direction des familles ne peut se limiter ni à un débat théorique sur l’universalité de nos systèmes, ni à la défense d’un modèle qui enferme les femmes dans une vision traditionnelle de la famille, si toute fois nous voulons faire de cette politique un levier pour construire un « Vivre ensemble » durable.
La politique familiale ce n'est pas seulement une question d'allocations, mais de services de qualité
- permettant à tous les enfants d'avoir, dès le départ de leur vie, les mêmes chances d'accès à l'accueil, à l'éducation...,
- et permettant également aux familles et notamment aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale
Gaby BONNAND
[1] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/10/17/01016-20141017ARTFIG00339-la-modulation-des-allocations-familiales-pourrait-avoir-des-effets-devastateurs.php
[2] Libération du 18 et 19 Octobre 2014
[3] Trois leçons sur l’Etat-Providence. Gosta Esping-Andersen. La république des idées Février 2008