Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"Refonder le système de protection sociale pour une nouvelle génération de droits sociaux » Tel est le titre du livre que viennent de publier 3 chercheurs[1].

Dans leur préface, ils annoncent directement la couleur concernant leur approche de cette refondation en citant Robert Castel, sociologue disparu trop tôt en 2013 : « Le réformisme n’est pas aujourd’hui, une position minimaliste qui se résigne à faire du désordre du marché, l’ordre des choses en se contentant de proposer des aménagements marginaux pour réparer quelques dégâts. Le réformisme porte au contraire la charge maximale de volontarisme politique et même le grain d’utopie qu’il est aujourd’hui possible de défendre en tenant compte du principe de réalité ».

Voilà qui est dit. La refondation de nos systèmes de protection sociale ne passera pas par la défense de l’existant au nom d’une logique révolutionnaire, ou plutôt habillée de celle-ci. Mais elle ne passera pas non plus par ceux qui se sont aujourd’hui arrogés le nom de « réformistes » au nom d’un néo-libéralisme radical, prônant des réformes structurelles consistant « à démanteler les protections existantes au nom des bienfaits de la concurrence qui, à terme, devrait profiter à tous ».

L’idéologie néo-libérale fait croire qu’une déréglementation de toutes les protections, au nom de la recherche du profit par quelques-uns, profite un jour à tous. On assiste, au contraire à une progression des inégalités dont le résultat est par exemple, la captation des richesses au niveau mondial par un nombre de plus en plus réduits de personnes.

L’objet de cet article n’est pas de présenter dans le détail les différentes propositions faites par les auteurs.

Je veux m’arrêter sur la logique qui préside à leurs propositions. Cela me semble déterminant pour 2 raisons :

  • La première est que si nous ne replaçons pas les propositions en perspective, le risque est de lire celles-ci comme un catalogue de mesures et cela n’a aucun intérêt.
  • La deuxième repose sur le fait que les propositions des auteurs ne peuvent pas être exhaustives. Le débat que peut susciter leur approche peut justement les enrichir.

Les auteurs s’emploient à décrire de manière pédagogique, les évolutions de nos systèmes de Protection sociale en relation avec les évolutions des contextes.

Ainsi, ils nous redisent, par exemple, combien « la position centrale qu’occupe le contrat de travail à durée indéterminée » d’une part et « la position centrale du travailleur masculin en charge de famille », d’autre part, imprègnent profondément le système français de sécurité sociale.

Dans ce système, la femme n’est pas l’égale de l’homme. Elle est considérée comme un des ayants droits. Les enfants sont également peu reconnus, comme individus à part entière.

Force est de constater avec les auteurs que « la société salariale telle qu’elle a été construite en France veut que les protections les plus fortes aient été rattachées à la consistance et la permanence de l’emploi salarié ».

En faisant reposer les droits sociaux essentiellement sur le travail rémunéré de l’homme, d’une part, il exclut de ces droits ceux qui sont soumis à la précarité de l’emploi sous toutes ses formes et au chômage, et d’autre part, il renvoie tous les membres de la famille à la situation d’ayants droits.

Cela ne veut pas dire que notre système n’a pas « fortement contribué aux progrès que la population a connu en matière de garantie de revenus des personnes âgées, de gain d’espérance de vie ou de soutien aux familles ». Il a même joué un rôle important de stabilisateur en permettant de soutenir ou de relancer la croissance, et d’amortisseur pour les populations touchées dans les crises économiques que nous avons connu.

Dans le même temps ce système a eu une tendance à « segmenter les individus par risques et par statut».

Dans une période où le secteur industriel et celui des services classiques structuraient le travail autour du contrat de travail à durée indéterminée, les effets inégalitaires étaient moindres. Mais aujourd’hui ce système n’est pas adapté pour protéger tous les individus engagés dans des parcours professionnels et de de vie complexes. Il « souffre d’un décalage par rapport aux problèmes de la société».

Ce n’est pas d’un aménagement à la marge qu’a besoin notre système de protection sociale, c’est d’une refondation. Les auteurs dégagent 4 principes d’action pour « fonder une nouvelle génération de droits sociaux »

  • Un principe de justice qui consiste à mettre chacun et chacune en position de faire librement ses choix de vie et ses choix professionnels. « C’est faire de l’émancipation des personnes, une priorité».
  • Un principe de solidarité qui contribue à la construction d’une citoyenneté. La citoyenneté c’est doter les individus de droits qui « assurent leur protection, mais assure aussi leur promotion tout au long de leur parcours personnel et professionnel »
  • Un principe d’efficacité qui fait de l’investissement dans des politiques sociales préventives, un axe prioritaire, pour dépasser « l’approche traditionnelle de la protection indemnisatrice et curative ».
  • Un principe transversal d’égalité entre les sexes qui doit assurer cette égalité en se sondant « sur une vision individuelle des droits sociaux qui accompagne l’individu de sa naissance à sa mort »

Refonder, reconstruire ne signifie pas, pour autant, faire table rase de ce qui existe. Mais à l’énoncé de ces 4 principes on voit bien qu’il nous faut penser la refondation de notre système de protection sociale avec un objectif qui dépasse largement le versement de revenus de remplacement. La protection « doit assurer également un accès égal aux services publics et sociaux constituant un socle de citoyenneté partagée ». Nous devons « déployer des droits qui assurent la protection mais aussi la promotion tout au long du parcours personnel et professionnel».

Dans notre système, les droits et garanties qui protègent reposent sur la force intégratrice du travail. Or beaucoup de personnes en sont exclues. Pour faire face à ces situations, nous n’avons pas changé de logique. Alors, nous avons « enrichis » ces droits et garanties de dispositifs ciblés. Davantage conçus comme des filets de sécurité dans une logique d’assistance, plutôt que comme des droits accompagnants un parcours professionnel ou un parcours de vie, ils deviennent stigmatisants pour les bénéficiaires. Cette logique nous a amené à distinguer la solidarité professionnelle, dont les systèmes sont devenus de plus en plus contributifs, et la solidarité nationale qui a une tendance à se concrétiser par des politiques d’assistance.

Pour refonder notre système, les auteurs proposent de remplacer cette distinction par une autre : « Ce qui relève de la protection et de la promotion de chaque citoyen et ce qui relève de des nouveaux droits à construire pour accompagner tous les individus tout au long de leur parcours professionnels».

Pour le dire autrement, le travailleur masculin était le sujet central des droits et garanties, la refondation du système doit mettre au centre de la construction des droits, le citoyen. Ces droits doivent permettre à la fois des garanties de revenu, et des services publics et sociaux accessibles à tous et capables d’accompagner des parcours professionnels comme des parcours de santé, de logement, brefs des parcours de vie dans toutes ses dimensions.

Je relève que pour les auteurs ; la protection sociale dépasse largement la logique d’assurance pour englober un accès à des services publics/services au public de qualité. Cet élargissement est de mon point de vue fondamentale et indispensable pour ne pas voir nos systèmes de protection sociale, réduit à des questions assurantielles qui elles-mêmes risquent d’être englouties dans des logiques de financiarisation.

Laissons aux auteurs la conclusion de cet article : « Le système actuel, qui protège les positions et les statuts, doit laisser place à un système qui protège les personnes et les carrières. Il doit équiper les individus pour le marché, et tout autant équiper le marché pour les individus, en créant sur le marché du travail et autour de lui, des institutions qui permettent de maîtriser son fonctionnement en vue de l’intérêt collectif »

Gaby BONNAND

[1] Bernard Gazier, Bruno Palier, Hélène Périvier . SciencesPo Les presses

Tag(s) : #Protection sociale