Ce samedi 12 Septembre Jacques LE GOFF[1], professeur émérite des Universités, éditorialiste à Ouest-France, a publié un point de vue dans ce journal, dont le thème est la travail. Point de vue très intéressant qui donne à voir que le travail est autre chose que le résultat d’une compilation de quelques ratios et autres indicateurs. Un article à lire, absolument.
"Le travail ? « C'est fini et c'est une bonne nouvelle », claironnait Guy Aznar en 1990. Il est au contraire tendance aujourd'hui.
Le travail ? « C'est fini et c'est une bonne nouvelle », claironnait Guy Aznar en 1990. Une valeur« en voie de disparition », renchérissait, en 1995, Dominique Méda. Le genre de « fausses idées » dénoncées récemment par Emmanuel Macron quand il a déclaré que « la gauche avait pu croire un moment que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. »
Aujourd'hui, les pronostics de la fin du XXe siècle semblent douces rêveries. Le travail est toujours bien là, au coeur de nos sociétés, dans une position plus solaire que jamais. Alors qu'il n'était abordé que par sa face sombre, celle de la souffrance au travail, on le voit faire l'objet de réflexions nombreuses sur sa dimension positive. L'ancien secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, ira même jusqu'à convenir : « N'ai-je pas une vision de leur situation plus négative que ces salariées... ? »
Les sondages confirment une forte progression de la valeur travail depuis les années 2000. En 2011, 74 % des actifs se déclaraient « heureux » ou « très heureux » au travail bien que... très insatisfaits. Un paradoxe qui s'explique par le fait que les Français prennent la valeur travail plus au sérieux que les autres.
Une chose est sûre : la réhabilitation du travail confirme la permanence de sa dimension humaine en termes d'accomplissement et de reconnaissance. Quoi qu'on fasse pour la réduire, comme dans le taylorisme par exemple, elle résiste au nom de la spécificité de l'être humain, toujours soucieux de donner du sens à ce qu'il fait : pas de bien-être sans bien faire.
Ce que confirme le retour du thème du « travail bien fait ». Exemple : ce « Nous avons honte ! », lancé par des salariés d'une grande surface de bricolage, littéralement mortifiés par le service après-vente médiocre de leur enseigne.
Ou bien, encore, ce fait rapporté par une sociologue qui, visitant un atelier de boyauderie dans un abattoir, constate qu'au changement d'équipe, les femmes jettent systématiquement à la poubelle tout ce qui a été entamé par les hommes. Motif : « Pas bien fait ». Commentaire de l'observatrice :« Elles avaient, dans leur univers de contraintes humiliantes, construit quelque chose qui donnait de la grandeur à ce qu'elles faisaient, de la noblesse et de l'importance aussi ».
« La réalisation de soi par excellence »
Partout, les salariés ont besoin de se retrouver dans leur activité (l'épuisement professionnel par « manque de sens » toucherait 30 % d'entre eux). Ce qui suppose aussi un vrai investissement de leur part, d'autant plus facile à obtenir que la finalité du travail est comprise et sa réalité prise en compte.
Or, de plus en plus, le travail devient invisible du fait de ce qu'Alain Supiot nomme La gouvernance par les nombres (Fayard, 2015) c'est-à-dire un style de gestion sur la base de l'impératif des seuls résultats chiffrés, dans l'oubli de l'épaisseur humaine et de la dimension esthétique du travail.
D'où l'urgence de repenser les stratégies, dans l'intérêt de tous, en y intégrant cette dimension centrale par une vraie politique du travail sans omettre la perspective de solidarité : viser l'accès du plus grand nombre à ce qui demeure la voie par excellence de réalisation de soi et d'intégration réussie".
Jacques LE GOFF
[1] Auteur du Retour en grâce du travail: du déni à la redécouverte d'une valeur (Ed. Lessius).