23 Juin 2016
Mon propos n’est pas de porter un jugement sur cet objectif. Je reconnais à ceux qui le portent le droit de le défendre et de se mobiliser pour celui-ci.
Je veux faire part de mon analyse concernant la méthode utilisée par les promoteurs de cet objectif qui vise à utiliser un sujet central de la vie des travailleurs pour alimenter un combat dont l'objectif n'est jamais avoué.
De ce point de vue, l'épisode concernant le projet de loi travail est symptomatique et très révélateur du cocktail qui permet d’imposer un événement dans l'espace public en dehors même d'une certaine réalité sociale.
Pour cela, il faut un objectif, un sujet, une ambiance de malaise et de mal-être, plusieurs acteurs dont les médias, et une étincelle pour mettre le feu
L’objectif : Empêcher Hollande de se présenter à un deuxième mandat. Cet objectif date de plusieurs mois déjà. Bien avant la présentation du projet de loi travail, plusieurs tentatives ont eu lieu. Peut-être que chez certains initiateurs de l’appel à la primaire à gauche (que j’ai signé), l’objectif était de « fusiller » politiquement Hollande (ce n'était pas le mien) . Mais avant cette initiative, l’organisation du mouvement de fronde à l’assemblée nationale est l’expression la plus structurée de cet objectif, au sein du Parti Socialiste.
Le sujet : Les choses ont mis du temps à se préciser. Il y a eu d’abord la loi MACRON. Ça n’a pas pris. Ensuite François HOLLANDE et Manuel VALLS offrent sur un plateau à tout ce qui, dans le pays, se revendiquant de gauche, cherchent une occasion pour cristalliser un mouvement d’opposition, avec la proposition de la déchéance nationale.
Alors que HOLLANDE et VALLS voulaient piéger la droite, la droite au Sénat, sauve, en quelque sorte François HOLLANDE d’un désaveu cinglant, en adoptant un projet différent de celui voté à l’assemblée nationale. De ce fait la réforme constitutionnelle n’est pas possible. Le projet est arrêté et du même coup le sujet permettant de cristalliser une opposition disparaît.
Puis ce fut le projet de loi Travail, plus connu sous le nom de loi EL KHOMRI. Sa première version absolument scandaleuse donne cette fois le bon produit pour organiser l’offensive.
L'ambiance de malaise et de mal-être
L'arrivée de HOLLANDE à l'Elysée a suscité beaucoup d'espoirs, beaucoup trop, après le mandat de SARKOZY. Mais la victoire de HOLLANDE est d'avantage l'expression du rejet de Sarkozy que l'expression d'une adhésion à un programme, dont les opposants de gauche n'ont retenu que le discours du Bourget (une faute politique) pour mieux préparer une campagne anti- HOLLANDE qui sera largement alimentée par le gouvernement lui-même: Les décisions et recul sur la fiscalité, sur l'Europe..., ajouté à un chômage qui ne cesse d'augmenter jusqu'à ces derniers mois, aux affaires CAHUZAC et THEVENOUD, et malgré des choses positives, alimentent une ambiance détestable de rejet du politique, de crise de confiance envers les responsables politiques, commencée bien avant l'arrivée de HOLLANDE au pouvoir
Les différents acteurs :
Le Front de gauche, le PC et ce qui reste d’écologistes tiennent, avec la première version du projet de loi, le bon produit pour faire monter la pression.
Les frondeurs, tannés par les premiers, entrent en jeu de manière plus offensive et vindicative à partir de cette présentation. Ils refusent toutes les propositions de Christophe SIRUGUE, rapporteur de la loi, pour sortir de l’impasse. Peu importe les évolutions du texte, ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est HOLLANDE.
Force Ouvrière n’a jamais été favorable aux négociations d’entreprises du fait de sa faible implantation dans celles-ci, mais aussi d’une vision très centralisée de l’organisation républicaine de la démocratie politique et sociale. Elle trouve dans les frondeurs un segment du Parti Socialiste sur lequel elle peut peser, d’autant que peu de députés connaissent le droit du travail, et encore moins la pratique de la négociation sociale. Je ne suis pas d'accord avec cette vision, mais je reconnais la cohérence de ce positionnement avec les positions historiques de FO
La CGT sortant d’une crise de succession au bord de l’explosion, est à la recherche d’un sujet fédérateur. Et dans une organisation, où il est difficile de se mettre d’accord sur des propositions. Le seul sujet fédérateur est un « ennemi » commun. Dans cette crise qui a profondément déstructuré l’organisation, les militants du Front de Gauche et ceux du NPA, ont su prendre beaucoup de responsabilités dans l'organisation interne de la CGT, au point de faire du congrès de cette dernière, en Avril 2016, un temps fort d’expression politique contre le projet EL KHOMRI, et contre François HOLLANDE.
Les Médias
Les chaines d’info en continu, très présentes dans les foyers français ne se sont jamais distinguées par leur capacité pédagogique, ni par leur connaissance des dossiers. Ce qui importe, là encore c’est que ça se vende et que ça se vende bien. Le marketing est devenu un outil essentiel de communication. Il faut mettre en scène l’info comme on met en scène un produit de consommation pour le vendre.
L’étincelle
La première étincelle est suscitée par la course entre MACRON et VALLS pour gagner au concours « Plus libéral que moi, tu meurs ». Avec la présentation de la première version du projet de loi, ceux qui veulent en découdre ne se laisseront pas prendre sujet. Le rétro pédalage sous la pression de plusieurs organisations syndicales ne change rien.
Mise en scène
Les différents acteurs, qui ont qu’un seul objectif en commun, vont élaborer au jour le jour, la mise en scène et les médias vont la produire. Chacun alimentant l’autre. La presse n’a ni envie, ni la capacité de faire de la pédagogie et d’organiser des débats sur le contenu qui risquent de lasser le public. Ça tombe bien. Ceux qui sont dans la bagarre pour "fusiller" Hollande, n’ont pas du tout envie de débats sur le contenu. Ils tiennent leur sujet pour atteindre leur objectif, ils ne le lâcheront pas. Seules les organisations CFDT, CFTC la FAGE, sont intéressées par des débats sur le contenu. Ils le mènent. Ils le mènent bien, obtiennent des résultats, font évoluer la loi. Mais ce n’est pas ce sujet qui est dans l’espace public.
Ce qui se joue c’est un combat au sein de la gauche qui apparaît, au demeurant très loin des préoccupations des citoyens, lesquels, dans le même temps, répondent à 75% qu’ils sont contre la loi travail, mais plébiscitent Alain JUPPE qui propose un programme économique dans lequel la négociation a peu de place et les verrous contre les licenciements, y compris ceux que prévoient la loi EL KHOMRI, supprimés.
Entretenir le feu en poussant l’autre à la faute
Les discours de la CGT, du front de gauche, des frondeurs, des verts sur le contenu de la loi sont des leurres. Ils ont pour unique objet de ne pas avouer l’objectif véritable de la guerre que mènent ces organisations. D’ailleurs, Ils occultent totalement les changements fondamentaux apportés au texte initial et font tout pour que le débat ne porte pas sur les évolutions au cours du débat à l’Assemblée national.
Ceux qui se battent sur le contenu (CFDT, CFTC, FAGE..) obtiennent des résultats significatifs. Les opposants y voient un danger : Ne plus avoir suffisamment de billes pour poursuivre leur combat et le feu peut s’éteindre. Alors les frondeurs, le Front de gauche, le PC et les écologiques à l’assemblée, et la CGT et FO dans la rue, essaient de pousser à la faute le gouvernement. N’y arrivant pas, dans cette phase-là, ils provoquent le 49-3.
L'utilisation de cette règle, bien que constitutionnelle est toujours traumatisante, surtout quand elle est utilisée par celui qui (François HOLLANDE) a eu des mots très durs lorsqu’il était dans l’opposition contre son utilisation par les gouvernants de l’époque. Ses arguments lui sont resservis non pas par la droite, mais par ses opposants de gauche.
L’utilisation du 49-3 sert à accuser le gouvernement de "déni de démocratie", alors qu’il y a eu plusieurs centaines d’amendements qui ont été discutés et intégrés. Le 49-3 vient à point nommé, redonner du souffle à un mouvement qui s’essouffle.
Mais la presse nationale, surtout télévisée et en continu, ne s’embarrasse pas de ces détails. Il y a une opposition à la loi EL KHOMRI, et c’est cela qui compte au point de donner l’image d’un pays coupé en 2, avec des manifestations peu importantes et en complet décalage avec ce que vivent les citoyens. Ceux qui sont dans la plus grande précarité ne sont pas dans les manifestations. Le plus gros des troupes, dans les manifestations, est constitué de salariés pas concernés par la loi.
Épilogue provisoire
Au terme du débat, le texte proposé au vote encadre la négociation d’entreprise et offre de vraies opportunités pour le renforcement du syndicalisme. Le CPA, Il constitue un premier pas vers une transformation profonde de notre système de protection sociale permettant d’offrir des garanties et des protections aux travailleurs quelque soient leurs statuts, leurs parcours professionnels.
Gonflant les chiffres manifs après manifs, les opposants sentent que ça faiblit et pousse une nouvelle fois le gouvernement à la faute, en proposant une manifestation, le 23 Juin.
VALLS tombe dans le piège. Il interdit la manif. Ce qui devait arriver arriva, c’est la condamnation de toute part de cette décision, y compris de la CFDT (ce qui montre sa maturité et sa capacité à être ferme sur les principes et solides dans ses propositions. A l’heure où je finis cet article, il semble qu’un accord soit trouvé pour une manifestation avec un parcours sécurisé.
Mais la fin de l'histoire de l'épisode n'est pas écrit et la journée du 23 s'annonce chaude, non pas par le nombre mais par la tension qui va y régner. Qui poussera qui à la faute? Telle est la question.
Dramatique image d'une gauche qui n'a pas besoin de la droite ou de l’extrême droite pour préparer le terrain à un gouvernement autoritaire
Essai de prospective
Peut-être nous retrouverons-nous dans la rue, lorsque la droite au pouvoir supprimera une par une les garanties et les espaces de négociations permises par la loi Travail
Gaby BONNAND