Texte écrit au soir du dimanche 31 Juillet 2016
Ce soir je ressens de drôles de sensations. Sensations mêlées à la fois de colère et d'amertume d'un côté et d’apaisement et de confiance de l'autre.
Colère et amertume, non pas en direction du pouvoir politique et surtout pas du ministre de l'intérieur, Bernard CAZENEUVE, mais colère et amertume suscitées par la médiocrité (le mot est faible) du débat politique. L'opposition de droite a laissé le champ libre à la droite extrême emmenée par le quatuor infernal Sarkozy, Estrosi, Ciotti et Wauquiez, qui ne cherche absolument pas à rassembler mais à diviser dans la perspective d'échéances électorales. Quand un parti politique se conduit de la sorte, il a de fait choisi de s'éloigner sciemment des valeurs de notre république dont un des fondements est le rassemblement et l'unité, dans la Fraternité.
Quant à la gauche, bien que ses différentes composantes ne soient pas dans un discours de division mais de rassemblement, elle reste inaudible et quand elle l’est, c’est, le plus souvent, sans grands effets sur la réalité des choses.
Apaisement et confiance, par ce qui a été donné à voir aujourd'hui dimanche, par les 3 principales religions. Pas uniquement les responsables mais les fidèles de celles-ci. : Des actes visibles de Fraternité dans l'espace public, qui tranchent avec le niveau du débat politique.
Oui ces actes suscitent en moi de l'apaisement. Mais aussi de la confiance dans les hommes et les femmes qui sont capables d'autres choses que de haïr l'autre, celui qui est différent, capables d'autres choses que de se complaire dans l'indifférence, avides de donner du sens à leur vie et à le manifester.
Apaisement, confiance mais questionnement aussi. Comment se fait-il que dans un pays laïc, on soit arrivé à cet extraordinaire paradoxe de voir les religions, leurs responsables et leurs fidèles, proposer de manière concrète des pratiques (assez massives) d'une des valeur fondamentale de la république qu'est la «Fraternité», tandis que la plupart des discours politiques sont pour les uns, quelque peu désincarnés et pour les autres, d’une bassesse insoutenable ?
Dans ma question, aucun reproche aux religions de venir sur ce terrain, mais un trouble sur le fait que les forces républicaines ne réussissent pas (ou très faiblement) de manière durable, à promouvoir des pratiques de fraternité (elles avaient réussi à le faire en Janvier et Novembre 2015, mais pas après Nice et St Etienne du Rouvray).
Il me semble qu'on ne peut pas chercher la réponse uniquement en restant les yeux fixés sur la période présente.
Le pays vit aujourd'hui des moments difficiles. Au-delà des chocs provoqués par les attentats, perpétrés sur le sol Français depuis la tuerie de Charlie, et le nombre de victimes, ces événements, parce qu’ils sont déstabilisants pour chacun et de manière collective, déclenchent une sorte de questionnement existentiel.
Ce questionnement se manifeste de façon différente pour chacun, même si la peur et l'angoisse sont présentes chez tous. Recherche de sécurité pour les uns. Recherche du pourquoi pour d'autres, Interrogation sur le sens de la vie pour d'autres encore. Les trois à la fois pour de nombreux autres.
Ces ressentis, générant de multiples attitudes, quel qu’ils soient doivent être entendus. Il semble que la droite extrême court derrière le Front National, pour montrer qu'elle entend mieux que ce dernier, les peurs, les angoisses et la recherche de sécurité. Entendre cela, écouter ces peurs, ces angoisses et les exigences de sécurité est un devoir de tous les partis politiques. Mais où cette droite se fourvoie, c'est en proposant le repli sur soi, le rejet de l'autre comme réponse a la demande légitime de plus de sécurité.
Si la droite extrême a le vent en poupe, nous devons tous nous interroger.
Quelle place avons nous laisser à la Fraternité dans nos pratiques républicaines, depuis de nombreuses années?
Dans notre économie mondialisée dans laquelle la concurrence est érigée en valeur suprême, il y a peu de place pour les perdants. De la compassion parfois, de la solidarité temporaire éventuellement, mais rarement de la Fraternité.
Dans cette économie qui génère de très grandes inégalités où des patrons, des actionnaires peuvent gagner plus des rémunérations représentant plus de 500 fois ce que gagnent des salariés, la réponse politique est très souvent faible. Quand elle est plus forte, l'actions se heurte, d'une part à une absence de lieux internationaux et européens nécessaires pour traiter ces questions et d'autre part, à un manque de volonté collective des Etats qu’il en soit autrement.
Compétition, concurrence, survalorisation du mérite personnel, progression des inégalités, ne font pas toujours bon ménage avec «Fraternité». La République, la démocratie peuvent apparaitre comme complices de ces situations. Pire elles apparaissent souvent (à tort ou à raison) comme les promoteurs de ces valeurs.
J'ai souvent fait référence, dans ce blog, au livre de François Dubet «La préférence pour l'inégalité[1]».Il peut être éclairant pour aider, éventuellement, à mieux comprendre pourquoi la République a tant de mal à être très crédible quand il s'agit de répondre à la recherche d'un sens à la vie, quand il s'agit de rendre concret la Fraternité, quand il s’agit de regarder l'autre autrement que comme un concurrent ou un étranger qui vient troubler notre existence.
Il ne faut pas s'étonner que d’autres apparaissent plus crédibles, au moins temporairement. Dans ces conditions, les religions peuvent, pour le meilleur et pour le pire, être des vecteurs de réponses aux questions existentielles que se posent les hommes et les femmes, les citoyens et les citoyennes. Il se trouve que depuis quelques jours et hier fut un moment fort) les grandes religions présentes en France, trouvent un écho dans les réponses qu’elles peuvent proposer, et notamment sur le terrain de la pratique de la Fraternité.
Pour autant, s’il ne faut pas s’étonner, la République ne doit pas baisser les bras. Elle se doit de se ressaisir. Pas en reprochant aux religions de faire dans l’espace public, ce que la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat leur permet. Ce n’est pas une attitude défensive que doit adopter la République mais des positions offensives et de manière très concrète. Le rejet de la culture chrétienne qui a pétri notre histoire, ne nous a-t-il pas conduit à considérer le terme « Fraternité » de notre devise républicaine, comme un terme trop religieux ? Nous lui préférons souvent les termes de « Liberté » et d’« Egalité ». Mais pouvons-nous réellement promouvoir ces 2 valeurs sans la « Fraternité » ?
L’attitude d’un certain nombre d’hommes et de femmes, leur recherche d’un sens à leur travail, à leurs pratique de consommation, à leur pratique du tourisme parfois, bref à leur vie, ne constituent-elles pas autant d’appel à ce que la République se ressaisisse pour proposer des réponses.
Il me semble que pour cela, la République, doit reconquérir du terrain sur l'économie et sa « vision unilatérale et réductrice qui favorise la tyrannie du profit, de la spéculation internationale, de la concurrence sauvage[2], qui a imposé ses valeurs.
La République doit reconquérir les siennes : « Liberté, Egalité, Fraternité »
Gaby BONNAND
[1] François DUBET La préférence pour l’inégalité. Comprendre la crise des solidarités. Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2014
[2] La Tribune de l’économie 11 Février 2016