A l’occasion de préparations d’interventions que l’on m’a demandées, ces dernières semaines, sur le thème du dialogue social et notamment du dialogue social vu par la CFDT, je me suis surtout attaché à apporter des éclairages historiques sur la question, n’ayant plus beaucoup de légitimité à intervenir aujourd’hui, sur les questions d’actualité.
Ce travail de relecture m’amène aujourd’hui à me poser une question, en tant que citoyen: Comment est-on arrivé au moment de la loi travail, à ce que le débat public se soit résumé le plus souvent à un débat technique et juridique au détriment d’un débat sur le nécessaire renforcement de la démocratie ?
La démocratie, bien plus qu’une question de méthode
Il semble effectivement loin le temps où les propos de la jeune CFDT de 1968, par la voix de son secrétaire général Eugène Descamps, étaient plébiscité par ce que je résumerais de manière très, trop sommaire, une gauche réformiste et progressiste ayant le vent en poupe « Reconnaitre des droits au syndicat dans l’entreprise constitue pour la CFDT, une revendication essentielle. Les grandes libertés publiques, obtenues tout au long du XIX° siècle, comme la liberté d’opinion, la liberté de la presse, de réunion, d’association, la protection contre l’arbitraire gouvernemental, doivent être maintenant reconnues également aux travailleurs dans l’entreprise »[1]
La participation active des citoyens à la vie de la cité, à la vie démocratique du pays est sans doute une des caractéristiques fortes de l’héritage immédiat des événements de mai 68, en opposition bien sûr à une société fermée, contrôlée, animée par des forces conservatrices, mais en opposition aussi à tous ceux qui, dans les partis traditionnels de la gauche, ne concevaient les transformations qu’à partir du haut. Ce qui signifiait d’abord un changement politique, pour actionner le levier législatif. La loi, moyen essentiel de transformation.
Les propos d’Edmond Maire, en Août 83, 15 ans après 1968 qui a vu la section syndicale reconnue dans l’entreprise, 2 ans après la victoire de la gauche, qui sont dans le droit fil (sur la démocratie d’entreprise au moins) avec ceux d’Eugène Descamps, ne sont pas reçu avec le même enthousiasme dans et en dehors de la CFDT « Aujourd'hui, même s'il reste des réformes législatives à faire, le plus important est …que les lois Auroux sur les droits des travailleurs soient exploitées dans toutes leurs potentialités. Pour cela, il faut changer de méthode ; il ne faut pas plus d'Etat, mais une reconversion du rôle de l'administration, une façon différente pour les gouvernants d'envisager leur action. Il faut stimuler le contractuel, faire mûrir les compromis positifs et éviter le risque d'étatisme… Au lendemain de la première guerre, un certain nombre de militants syndicaux ont considéré que les conventions collectives étaient un abandon de la lutte de classe, le contractuel, une compromission à bannir. C'est une conception dépassée. Chacun sait bien aujourd'hui ce qu'est une politique contractuelle positive »[2].
Une vision étriquée de la Démocratie
La gauche qui est arrivée au pouvoir en 1981, a largement répandue l’idée, en amont des élections, que les changements essentiels se feraient pas le haut. Une déception manifeste a commencé à s’exprimer peu de temps après. Le positionnement de la CFDT sur une démocratie qui ne peut pas s’approfondir, progresser, se renforcer, sans l’implication des citoyens, y compris dans l’entreprise quand ces mêmes citoyens sont salariés, apparaît à beaucoup, moins « romantique » qu’en période d’ébullition post 68 et est considéré un pis-aller.
Alors que, la crise (Tout le monde appelle encore Crise) s’est installée depuis le milieu des années 70, le débat politique s’enferme de plus en plus sur les transformations macro-économiques et les solutions politiques pour y parvenir, donnant un poids énorme aux économistes, au détriment d’une approche plus globale de la transformation démocratique. Dans ce débat, ce sont des affrontements politiques qui contribuent au développement d’une vision étriquée de la démocratie, résumant l’implication des citoyens à l’acte de voter.
Il faut dire que notre culture démocratique ne nous porte pas d’emblée ni vers une conception décentralisatrice de celle-ci, ni vers une implication citoyenne individuelle et collective. Le jacobinisme issu de la révolution française qui irrigue toute la classe politique, amalgamé à une culture marxiste centralisatrice d’une partie de la gauche, constitue le terreau dans lequel se sont développées les principales approches de la démocratie. Conception qui s’est toujours méfier d’une trop grande liberté donnée aux citoyens et pour les organisations du mouvement ouvrier, aux salariés Autant dire que la recherche de nouvelles formes d’implications citoyenne pour dynamiser la démocratie, pour répondre aux besoins d'aujourd’hui n’a pas eu beaucoup le vent en poupe durant les 3 dernières décennies.
Borné par une vision économique d’un côté, et à une approche juridique de l’autre, le périmètre de la démocratie n’a cessé de se restreindre durant ces dernières décennies. Restriction qui finalement va satisfaire à la fois les néoconservateurs, les néolibéraux et la gauche jacobine. En ne voyant dans la démocratie qu’une « procédure de désignation des gouvernements sans qu’il soit fait mention de la recherche du bien commun »[3], les néoconservateurs et autres néolibéraux s’arrangent très bien d’un débat public sur la démocratie qui occulte l’implication citoyenne. En privilégiant les transformations macro-économiques par le changement politique et les lois que cela implique, une partie de la gauche néglige également l’implication citoyenne.
Ainsi, un consensus au sens négatif du terme s’instaure en France pour circonscrire le débat politique à des changements de majorité. L’appareil médiatico-politique, si elle n’est pas à l’origine de cette dérive démocratique, ne fait qu’amplifier et aggraver la situation. Les dernières émissions de France 2 « Emission Politique » et de M6 « Ambitions intimes », en perspectives de la présidentielle de 2007, ne sont que des furoncles révélant la profondeur du mal.
Et ils cédèrent à la facilité de la certitude
Dans un monde où d’une part, le champ et le débat démocratique est terriblement réduit et d’autre part, où l’économie a pris le pas sur le politique, nombres d’économistes de tout bord se sont mis à ériger des ratios en vérités historiques. Ils ont ainsi ouvert des champs à la « médiacratie », qui n’en attendait pas tant, pour transformer les plateaux de télévisions ou de radios en ring où s’affrontent des économistes aussi bardés de certitudes les uns que les autres, laissant aucune chance à la confrontation positive de s’imposer.
De leur côté de nombreux juristes trouvent dans cette réduction du champ et du débat démocratique à des questions de procédure, des opportunités :
· Les uns pour alléger au maximum les contraintes liées à cette procédure et libérer les forces du marché. Ces derniers se sont particulièrement illustrés lors de l’accord interprofessionnel de Janvier 2013 prévoyant entre autre la généralisation de la complémentaire santé. Appelés au secours, par les assureurs, ils ont réussi à faire gagner la concurrence à tous les étages dans le domaine de la complémentaire santé au détriment de la solidarité.
· Les autres pour bétonner une hiérarchie des normes que nulle finalité d’intérêt général, ne saurait venir bousculer ? Ces derniers se sont particulièrement illustrés lors du débat sur la loi travail. Appelés au secours par tout ce qui à gauche ne semble résumer la démocratie à la hiérarchie des normes. Heureusement ils n’ont pas gagné.
Il ne s’agit pas d’être naïf. La démocratie n’est pas un doux rêve. Elle n’est pas hors sol. Elle ne peut être vécue en s’exonérant des conditions économiques et sociales du monde. Elle a besoin d’être définie par des règles. Elle a besoin de stabilité pour durer. Tout cela est vrai. Mais pas au point de la transformer en cadavre, immobile par nature.
Quand, les conditions et les moyens de faire vivre la Démocratie deviennent les buts et les objectifs, cette dernière est de fait réduite à une question de procédure et de méthode.
Voilà comment nous sommes arrivés à la situation grotesque, où la création d’espaces nouveaux d’expression, de négociation impliquant d’avantage les salariés, et potentiellement porteurs d’émancipation individuelle et collective, est « fusillée » par de nombreux dirigeants politiques et sociaux parce que ces espaces constitueraient des menaces pour la Démocratie.
« Les opposants à cette loi ont peur de quoi ? De l'expression des salariés ? » S’interroge à juste titre Laurent BERGER. « Si la priorité est donnée aux accords d'entreprise, ce n'est pas pour faire moins pour les salariés mais mieux, en apportant une réponse plus ajustée et plus efficace. Les syndicats consolideront leur pouvoir de négociation pour répondre aux préoccupations des salariés au plus près de leurs réalités. Des règles uniformes ne protègent pas mieux des salariés qui se trouvent dans des situations différentes ».
Cherchez la cohérence
Gaby BONNAND