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Après avoir annoncé qu’il allait nationaliser l’assurance chômage, Emmanuel Macron veut « mettre entre parenthèse le compte pénibilité ». C’est semble-t-il ce qu’il a annoncé lors de son audition à la CPME. Si on en croit la presse, il aurait affirmé « Je suspendrai le sujet pour le renvoyer à des accords de branche »

Je doute que monsieur Macron connaisse bien le dossier. Cette expression ressemble plus à un shoot en touche qu’à une doctrine en la matière. C’est pour cela que c’est très inquiétant.

En effet, dans son projet, concernant les retraites, il est écrit d’une part « La pénibilité sera toujours prise en compte » et d’autre part il veut mettre en place « un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé »

On peut souscrire à ces 2 objectifs.

Mais j’attends qu’Emmanuel Macron nous dise comment il entend prendre en compte la pénibilité.

Je suppose qu’il ne veut pas instaurer, pour des professions qui comporteraient de nombreux métiers pénibles, la possibilité à tous les travailleurs de la profession, y compris à ceux qui dans la profession ne seraient pas exposés aux travaux pénibles, de bénéficier d’un départ anticipé.

Une telle proposition reviendrait à réinventer des régimes spécifiques, alors qu’il veut les supprimer.

Je suppose qu’il ne veut pas s’en tenir à une seule démarche qui consisterait à donner la possibilité de faire partir de manière anticipée des travailleurs, dont l’impact sur sa santé de son exposition au travaux pénibles seraient constatés médicalement.

Une telle proposition reviendrait à oublier le scandale de l’amiante qui a fait apparaitre des maladies liées à une exposition, bien après le départ en retraite. Ce serait par ailleurs s’assoir purement et simplement sur de nombreux travaux épidémiologiques qui montrent qu’un certain nombre d’exposition sont susceptibles d’avoir des impacts sur la durée de vie en bonne santé des travailleurs.

Alors que veut-il ? Renvoyer aux négociations de branches nous dit-il. Mais dans quel objectif ?

Faut-il rappeler à Emmanuel Macron que l’obligation faites aux branches professionnelles (par loi Rebsamen), de travailler des référentiels de branches pour aider les entreprises dans la mise en place du compte pénibilité, soit de manière unilatérale soit par négociation a été « boudée » par de très nombreuses branches professionnelles, à l’appel des principales organisations patronales que sont le MEDEF, le CPME et l’UPA

Faut-il rappeler à Emmanuel Macron qu’il y beaucoup plus d’entreprises qui sont rentrées dans la démarche que ne le laissent entendre les représentants des organisations d’employeurs, et notamment la CPME à l’invitation de laquelle il s’est rendue et a fait cette annonce de suspension.

Faut-il enfin rappeler à Emmanuel Macron que 4 facteurs sont entrés en application le 1 Janvier 2015.  

512 162 salariés ont déjà acquis des points donc des droits. Emmanuel Macron peut-il nous dire quelle suite il pense donner aux droits de ces salariés en cas de suspension ?

Alors la proposition d’Emmanuel Macron de suspendre le compte pénibilité faite lors de son intervention à la CPME, est-elle une posture de circonstance ou l’expression d’un non-travail sur le sujet ?

Dans tous les cas ce n’est ni sérieux, ni rassurant. Ça montre une fois de plus qu’Emmanuel Macron ne sait pas travailler avec les organisations de la société civile, et notamment les organisations syndicales.

Je ne suis pas en train de dire que prendre en compte la pénibilité du travail soit une chose simple. Je veux rappeler que cette question est dans le débat public depuis plusieurs années. Je remonterais en 2003. C’est la date d’une importante réforme des retraites. A cette époque, l’article 12 de la loi 2003 prévoit que « Dans un délai de trois ans après la publication de la présente loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité »

Les organisations patronales font de l’obstruction pour engager cette négociation. Elle démarre enfin en 2005, pour échouer en Juillet 2008.

Cependant ces 3 ans de négociations ont permis de dégager un consensus, avec l’aide de spécialistes et chercheurs, sur l’établissement de 10 facteurs d’expositions susceptibles d’avoir des impacts sur la durée de vie en bonne santé.

Ces 10 facteurs sont repris dans la loi retraite de 2010, mais pour les considérer recevables pour un départ anticipé uniquement si les impacts sur la santé sont avérés et donnent droit à un taux d’incapacité compris entre 10% et 20%. Le dispositif est tellement restrictif qu’il ne va concerner que quelques centaines de salariés.

La loi de 2014, reprend les 10 facteurs et crée un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Celui-ci recueille des points en fonction des exposition du salarié. L’employeur a l’obligation de rendre compte chaque année du nombre de points attribués à ses salariés, à la caisse de retraite qui gère le dispositif. La loi Rebsamen, de 2015 donne un rôle à la branche pour établir des référentiels afin de permettre aux branches de "personnaliser" à leur profession, les facteurs et les processus de mise en place.

Bien sûr, c’est un peu complexe. Mais il faudra qu’Emmanuel Macron nous explique comment il prend en compte la pénibilité

  • sans réinventer des régimes spéciaux de branches,
  • sans vouloir, car trop complexe, d’un dispositif qui nécessite de mesurer la pénibilité vécue,
  • en refilant "le bébé" à la négociation de branche sans en donner les objectifs.

Plutôt que de rester dans une posture d’obstruction, un certain nombre de responsables d’organisations patronales (dont les plus durs sont les salariés de ces organisations) seraient plus avisés d’aider leurs entreprises à faire en sorte que la pénibilité soit prise en compte, et pas uniquement pour que les salariés partent plus tôt en retraite, mais pour engager de véritables politiques de prévention.

Emmanuel Macron serait également bien avisé de se rendre dans des entreprises qui ont mis en place le C3P. Il y en a.

Le nombre de travailleurs exposés aux facteurs de pénibilité n’a pas baissé entre 1984 et 2014.

Si la prise en compte de la pénibilité est un objectif d’Emmanuel Macron, il serait temps qu’il entende d’autres que la technostructure des organisations d’employeurs.

Gaby Bonnand

 

http://ouvertures.over-blog.com/
2016/12/exposition-des-salaries-a-des-postes-penibles
Tag(s) : #Pénibilité, #C3P, #Politique, #élection présidentielle, #Macron
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