Si la protection sociale est un sujet qui est présent dans le débat présidentiel, il est dommage que ce débat se limite essentiellement à un débat qui cantonne la protection sociale à une gestion des risques.
Alors pour aller plus loin, dans ce post une contribution pour inviter à un regard plus large de ce qu'est la protection sociale. En effet plusieurs dimensions, plusieurs approches traversent le débat et la protection elle-même. Elles ne sont pas exclusives les unes des autres. Mais chacune donne à voir ce qui peut guider l’action des uns et des autres selon la dominante de l’approche.
- Une approche organisationnelle. Dans cette approche, on donne à voir une organisation en différents organismes : CNAM, CNAV, CNAF, CPAM, CAF, CARSAT…..
Les atouts de cette approche résident dans le fait que la Protection Sociale se décline dans une organisation qui permet d'identifier les risques et la mise en œuvre des politiques par risques.
Les limites de cette approche demeurent dans la sectorisation des réflexions sur la protection sociale, institution par institution avec le risque de cannibalisation des débats sur le fonctionnement des organismes, en oubliant la finalité de ces institutions.
- Une approche par les risques. Dans cette approche on parle des risques couverts et des risques restant à couvrir.
Les atouts de cette approche sont de nous interroger sur les risques qui ne sont pas pris en charge et sur les populations non couvertes,
Les limites de cette approche reposent sur le fait que la Protection Sociale ne se mesure qu’en risque et les réponses ne peuvent être qu’assurancielles. Or la protection sociale de ne peut se limiter à sa dimension assurancielle, y compris dans une vision assurance sociale. Une société ce n’est pas la juxtaposition d’individus assurés individuellement contre un certain nombre de risques. Par ailleurs, nous constatons aujourd'hui, d'une part que sans accompagnement, de nombreuses personnes n'ont pas accès à leurs droits, d'autre part que la protection des individus passent par des services rendus. Pensons notamment à l'accompagnement des personnes en perte d'autonomie.
- Une approche par référence aux constructions historiques Bismarckienne, Beveridgienne, Mixte[1]
Les atouts de cette approche c’est de nous renvoyer à notre histoire et à la compréhension de la construction de notre système.
Les limites de cette approche c’est de s’enfermer dans des débats conceptuels. Or dans les faits nous voyons bien que notre système est un mixte de ces 2 approches qui ont marqué la construction des régimes de protection sociale en Europe. D'un côté les systèmes Bismarckiens qui ont marqué l'histoire des pays germaniques et les systèmes béveridgiens qui ont marqué les pays anglo-saxons. Notre système est mixte en ce sens qu’il est à la fois « corporatiste » et de plus en plus « universel »
- Une approche sociétale d’une propriété collective[2] C’est l’approche de Robert Castel qui, repartant de la déclaration des droits de l’homme, explique l’inscription du droit à la propriété comme un droit inaliénable, comme l’expression que l’homme ne peut être libre que s’il en a les moyens. Et un de ces moyens c’est la possibilité d’être protégé contre les pertes de moyens de subsistance. La propriété constitue cette protection en ce sens qu’elle permet de pouvoir vivre sans d’autres revenus.
Les atouts de cette approche sont de nous faire voir la Protection Sociale comme une construction sociale dans une société industrielle où le travail est central et les rapports de classe, inhérents à la société industrielle avec l’avènement du prolétariat et le développement du salariat. Cette approche nous permet de situer le débat de la protection sociale comme un débat sociétal, un débat sur les conditions de la consolidation de la démocratique dans un contexte différents mais où la question de « faire société » est toujours d’actualité.
Les limites de cette approche peuvent résider dans un enfermement dans une analyse très marquées par la société industrielle du début de la révolution, alors que nous avons à prendre en compte l'évolution de la société et notamment le fait qu'une protection sociale attachée au statut constitue un creuset d'inégalités.
- Une approche Institutionnelle au sens démocratique du terme ,[3] qui fonde et structure notre façon de faire société. Elle prolonge l’approche précédente. La protection sociale participe à fonder, asseoir, consolider notre « vivre ensemble » parce qu’elle s’appuie sur des principes qui commandent notre façon de vivre ensemble.
Elle donne une unité de sens pour les membres de la société. La Protection Sociale n’est pas seulement une propriété, mais l’expression d’une volonté de vivre ensemble.
Les atouts de cette approche sont de positionner la Protection Sociale en dynamique comme devant être structurant de la manière nous voulons faire société.
Les limites de cette approche peuvent se trouver là aussi dans un enfermement institutionnel qui n’est plus le moyen de l’expression d’une dynamique mais qui devient l’objectif en ce sens que la défense de l’institution prend le pas sur le sens et les objectifs qu’elle poursuit.
- Une approche par les conflits. « Vivre ensemble », "faire société" n’est pas inné. C’est un construit social issu de conflits multiples :
- Conflits entre ceux qui détiennent une propriété et ceux qui n’en n’ont pas
- Conflits entre Capital et travail
- Conflit entre Patrons et salariés
- Conflits sur des valeurs
- Conflits dans le domaine organisationnel de la Protection Sociale
- Conflits entre liberté et égalité .[4]
- Conflits…
Les atouts de cette approche sont là aussi de vivre la Protection Sociale comme une dynamique. Le conflit est dynamique, dans la mesure où son expression oblige à penser les lieux de son dépassement.
Les limites de cette approche résident dans le fait que nous pouvons nous laisser conduire par l’immédiateté du conflit au risque d’en oublier la dimension historique, et la perspective de son dépassement.
- Une approche selon l'approche du BIT.[5] Une notion fondée sur des principes partagés de justice sociale qui exigent la mise en œuvre de droits pour les individus comme « Sécurité Sociale et niveau de vie suffisant à sa santé et à celle de sa famille, qui inclue le logement, l’habillement, l’alimentation, les soins médicaux et les services sociaux nécessaires »
Les atouts de cette approche résident dans l’élargissement de la Protection sociale à de nombreux droits et protections. Cette approche à l’avantage de placer le débat sur le plan européen et international et d’éviter qu’il se cantonne dans un débat corporatiste, nationaliste voire xénophobe.
Les limites de cette approche peuvent être de noyer la Protection sociale dans un ensemble tellement large qu’il en devient flou.
Je ne prétends pas avoir fait la liste exhaustive de toutes les approches de la protection sociale. Je veux montrer que cette question de la protection sociale ne se limite pas à une question technique. Pa plus que les questions d’adaptation de nos systèmes pour prendre mieux en compte les évolutions du travail et de la société en général n’épuise le sujet.
La protection sociale est un pilier pour organiser notre manière de faire société.
Loin d’être un débat technique, ou un débat financier, c’est un débat politique qui nécessite de prendre en compte les différentes approches et logique qui traversent cette question pour construire notre avenir commun.
Gaby Bonnand
[1] Bruno Palier : Que sais-je les systèmes de santé ; Dominique Polton : « la santé pour tous »
[2] Robert Castel : « L’insécurité sociale », « la montée des incertitudes »
[3] Robert La fore : « La protection sociale : Une valeur »
[4] François Dubet : « La préférence pour les inégalités »
[5] Groupe consultatif présidé par Michelle Bachelet (OMS – BIT) Le socle de protection Sociale