Pour la première fois, la CFDT est passée devant la CGT aux élections professionnelles chez les salariés du privé.
Ce résultat n’est pas vécu de la même manière selon que l’on est fortement, faiblement ou pas du tout investi dans le mouvement syndical.
Par ailleurs, parmi ceux et celles qui sont investis, cette nouvelle situation suscite de l’enthousiasme ou de l’amertume, voire de l’indifférence, selon les appartenances syndicales.
Ceci étant, quel que soit les appréciations que l’on porte sur ce résultat, cette nouvelle hiérarchie dans le monde syndical, constitue un évènement historique au sens où c’est la première fois que la CGT née en 1895 perd la première place, qu’elle occupait depuis plus de 130 ans.
Inutile de dire que cette nouvelle me situe du côté des enthousiastes. Mais au-delà du sentiment de satisfaction, voire de fierté que je peux ressentir, il me semble que cette première place de la CFDT a une grande signification sur le plan démocratique.
En pleine campagne présidentielle dans laquelle la plupart des candidats pour ne pas dire tous, tiennent pour peu de chose, la société civile organisée, la renvoyant au périmètre de leur corporatisme respectif ou en en les considérant comme des organisations entravant la liberté des chefs d’entreprises, ou encore ne les considérant que comme des forces d'appoints à leur programme, ce résultat sonne comme un avertissement.
Ce bouleversement de la hiérarchie syndicale vient rappeler que les salariés du privé ont classé en tête une organisation syndicale qui développe un syndicalisme de proximité au plus près des salariés dans les entreprises, sans pour autant les enfermer dans leur condition de salariés, mais en contraire en les considérant comme des hommes, des femmes, des citoyens et des citoyennes, ayant une vie bien au-delà de l’entreprise et donc des choses à dire bien au-delà de celle-ci.
Ce syndicalisme renvoie à une conception de la démocratie et de la place des corps intermédiaires au sein de celle-ci. Conception, partagée bien au-delà de la CFDT, par de nombreux acteurs de la société civile qui viennent de le rappeler dans une adresse aux candidats à la présidence de la République, en ce début du mois d’avril.[1]
Ce courant de pensée a eu comme originalité de montrer que travailler à l’intérêt général supposait d’impliquer les corps intermédiaires dans la construction de celui-ci. Il s’est heurté à une autre courant politique de la gauche Française comme le rappelle Pierre Rosanvallon[2] : «La place des corps intermédiaires a certes été notablement réévaluée, mais la démocratie française ne s’est pas, pour autant intellectuellement refondée. Si l’organisation jacobine première a fortement été corrigée, la culture politique de la généralité est restée dans les têtes avec toutes ses conséquences en termes de conception de la souveraineté ou de l’intérêt général. Les prétentions du monde politique à incarner seul l’intérêt social ont continué de leur côté à peser. Un certain penchant illibéral a ainsi surdéterminé les esprits alors même que s’accomplissait une indéniable pluralisation de la société.
Cette analyse résonne de manière très forte en ce début de printemps 2017, en pleine campagne Présidentielle. Elle vient de prendre une actualité particulière avec la première place de la CFDT et l’analyse qu’en fait Jacques Julliard dans le Monde du 7 avril[3]. Sa tribune tranche avec une conception d’une démocratie qui dans le pire des cas, ignore l’existence même du syndicalisme, et dans le meilleur veut limiter son action au périmètre de l’entreprise.
Analysant la première place de la CFDT aux élections professionnelles dans le secteur privé, il y voit « l’aboutissement d’une longue marche, commencée en 1919 lors de la fondation de la CFTC…confirmée dans la participation au Front Populaire et à la Résistance et explicitée dans ses objectifs de déconfessionnalisation en 1964…», qui a permis à la CFDT de se forger une autonomie de pensée antitotalitaire, anticolonialiste, autogestionnaire, réformatrice, lui donnant aujourd’hui une place centrale dans « le progrès de la conscience sociale ». Mais il avertit que « Sous peine de mourir, le syndicalisme ne peut se contenter d’une sorte de corporatisme exalté par la nostalgie et paralysé par la désespérance. Au-delà de la défense de ses adhérents, il a quelque chose à voir avec le destin historique et spirituel de la France ».
L’analyse de Jacques Julliard tranche également avec une autre tribune d’un autre observateur social, Michel Duthoit[4]. dans laquelle l’auteur défend l’idée que « Les organisations syndicales comme patronales qui ont la mission d’élaborer, affiner, exprimer, négocier, conclure des compromis à partir des positions de leurs mandants » doivent continuer à le faire, mais « dans le seul cadre de mécanismes d’avis et de contrôle, et laisser le reste à ceux qui en ont les moyens et la responsabilité devant la nation et les électeurs contributeurs ».
Je respecte bien évidemment d’autres conceptions de la Démocratie que la mienne. Mais le respect n’empêche pas le débat et je souhaite l’avoir. La conception défendue par Michel Duthoit semble limiter le citoyen à sa fonction l’électeur/contributeur/contribuable, et limiter la légitimité démocratique à la légitimité élective. Je suis bien sûr en total désaccord. Ce positionnement, contrairement à celui de Jacques Julliard, se situe dans l’air du temps, celui de minimiser le rôle des corps intermédiaires.
Le débat n’est pas clos et je veux voir dans la « victoire » de la CFDT aux élections professionnelles, une opportunité nouvelle pour nourrir ce débat par le concret de l'action. Et jacques Julliard, par sa tribune, vient confirmer cette actualité du débat, en même temps qui l'alimente sur le plan intellectuel.
Gaby BONNAND
[1] « Sauvons notre modèle de démocratie », tribune signée par des membres du collectif des Places de la République représentants d'associations notamment environnementales, de solidarité, d'aide aux migrants, d'éducation populaire, de mutuelles et de syndicats étudiants ou de salariés, parue dans les échos du 5 avril.
[2] Pierre Rosanvallon « Le modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours » 2004 au seuil
[3] Jacques Julliard « La CFDT doit lancer la refondation syndicale » Le monde 6 Avril 2017
[4] Michel Duthoit « Régimes sociaux : Les limites du paritarisme » Ouest France du 6 avril 2017