La victoire de Macron à la présidentielle et l'émergence du mouvement « En Marche", en passe de devenir la première force politique représentée à l'Assemblée Nationale, dynamitent l'organisation politique structurée autour de 2 principaux partis politiques qui se partageaient les responsabilités du pouvoir par alternance depuis près de 40 ans.
Cette situation est nouvelle, d’avantage par l’ampleur de l’écho que rencontre la démarche de Macron, que par le contenu qui la porte. Comme le rappelle Jean Marc Vittori[1] « le projet économique du nouveau président a des racines anciennes » Et de citer Rocard Delors ou encore Mendès France, mais faute de recueillir un soutien populaire, ces Idées que sont « d’avantage de liberté, meilleures protections, Etat renouvelé », n’ont pu être mis es en œuvre.
Il me semble que cette situation devrait interroger fortement la gauche qui se réclame progressiste, réformatrice, bref, la gauche social-démocrate, s’il en existe une en France, car le succès de la démarche de Macron est avant tout le résultat d’une sclérose puis d’une déliquescence du Parti Socialiste.
Pour des raisons propres à l'histoire de France, dues entre autre, à une reconnaissance tardive des syndicats (En France 1884 alors que la première les premières législations sociales en Angleterre datent de 1824), une tradition « révolutionnaire et marxiste » s’est développée plus fortement, tant dans les partis politiques que dans le syndicalisme, que dans les autres pays européens.
Cette forte influence du marxisme dans les 2 composantes de ce que l’on nomme le mouvement ouvrier n’a pas été sans conséquence sur les relations tendues entre les Partis et les Syndicats, dont la charte d’Amiens vient figer ces dernières par la création d’une ligne Maginot entre les deux. Ainsi cette charte constitue un frein énorme à l’avènement de la social-démocratie en France.
Si la proéminence du Parti communiste dans la gauche française avec sa domination dans les milieux intellectuels jusque dans les années 80, explique le climat anti Social-Démocratie, qui s’est développé en France, il faut aussi souligner l’incapacité de ceux qui sont restés garder la Vielle Maison, pendant que d’autres ont été courir l’aventure[2], à engager la SFIO maintenue dans une démarche social-démocrate, aidée en cela par un mouvement syndical divisé. D’un côté, la partie majoritaire, aux mains des communistes et de l’autre un syndicalisme prisonnier d’une charte d’Amiens qui a établi une séparation entre le Politique et le Syndicalisme.
Les élections de 1969, avec le score de 5% de Gaston DEFERRE, candidat SFIO à l’élection présidentielle, viennent en quelques sortes clore ce cycle d’une impossible social-démocratie en France.
Au début des années 70, un autre cycle s’ouvre avec comme premier évènement, la création du Parti Socialiste par François Mitterrand, sur les décombres de la SFIO, devenu « Nouveau Parti Socialiste » dirigé par Alain Savary et le regroupement de nombre de mouvements de la famille socialiste, dont la FGDS[3], dirigée par François Mitterrand lui-même. Ce dernier veut faire du Parti Socialiste, nouvellement créé, le premier parti de la Gauche en France.
Le deuxième évènement est l’influence grandissante de la CFDT. Créée en 1964, d’une transformation de la CFTC, elle ressort de 1968, comme la force syndicale représentant les forces du renouveau qui se sont manifestées lors des évènements
Le troisième est la décision de Michel Rocard, en 1974, de rejoindre le PS, entraînant avec lui une partie du PSU. Cette décision et le mouvement qu'elle suscita a fait naître l’espoir d’une perspective de changement dans l’approche du changement par la gauche française.
Mais, si sous l'impulsion de Mitterrand à la tête du nouveau Parti Socialiste, ce dernier va prendre l’ascendant sur le PC et devenir majoritaire à gauche, ça ne signifie nullement une progression d’une pensée Social-Démocrate au sein du Parti Socialiste. Au contraire même, puisque ce courant avec Michel Rocard, comme chef de file, n’a cessé d’être combattu et finalement anéanti par un Mitterrand misant sur le mythe de la rupture sur fond de rhétorique marxiste, pour conquérir le pouvoir, et sur le pragmatisme et l’opportunisme, dans la gestion du pouvoir, avec toutes les désillusions que cela a provoqué.
Si cette démarche a produit des résultats non négligeables tant sur le plan national qu'européen, y compris pour résister à l'offensive néolibérale déclenchée par les révolutions conservatrices au Royaume Uni et aux États Unis à la fin des années 70 et début 80, elle montre ses limites.
Alors que les conditions étaient réunies (affaiblissement du PC et échec moral et matériel du communisme dans le monde) pour affirmer et enraciner concrètement le choix du réformisme et du compromis[4], plutôt que d'entreprendre un travail de refondation, le Parti Socialiste a préféré gérer ses périodes de pouvoir et ses périodes d’opposition, par un mélange d'opportunités et d'opportunisme. Ainsi, le PS a fait perdurer une organisation politique sans réel enracinement dans la société, engendrant un dépérissement progressif du parti
De sa bataille en 1995, à l'Assemblée Nationale contre le mandatement syndical, à l'inscription de celui-ci, dans la loi Aubry de 98 sur la RTT ; de son incapacité à tenir une position cohérente sur le référendum européen en 2005 à cette même incapacité lors de la ratification du traité par le parlement, en 2008 ; de sa violence contre la position de la CFDT sur les retraites en 2003, au rétablissement en 2012 des carrières longues après que Sarkozy ait supprimé cette mesure en 2010 ; d'une amorce d'une démarche social- démocrate en début de mandat de Hollande, à la cacophonie de la loi travail, les exemples ne manquent pas pour montrer comment opportunisme et opportunités semblent avoir été les boussoles principales du PS ces dernières années.
Pourtant la Social-Démocratie en recherchant « à encastrer l’économie de marché dans les relations sociales, a permis de mieux défendre les intérêts des travailleurs …et a rendu possible l’extraordinaire prospérité inclusives des 30 Glorieuses »[5] Mais la gauche française a raté le train de la social-démocratie, au sens où elle n’en a jamais fait un système de pensée et une référence pour travailler les conditions de la transformation de la société. Et quand elle a réformé, et de belle manière parfois (RMI, CSG, RTT, CMU, PACS, mariage pour tous…), la gauche au pouvoir a eu souvent la réforme honteuse, allant jusqu’à ne pas défendre les bilans lors des élections, conduisant la gauche à la défaite.
Par ailleurs les révolutions conservatrices au Royaume Unis, aux Etats Unis et l'offensive néolibérale qui s’en est suivie, ont profondément secoué les social-démocraties européennes, depuis plusieurs décennies plongeant les partis sociaux-démocrates de tous les pays dans de graves crises.
Ces crises, malgré les tentatives pour adapter la social-démocratie, notamment au Royaume Unis, ont fragilisé l'Union Européenne, qui apparaît aujourd’hui aux yeux des citoyens de nombreux pays, comme un immense marché dépourvu de projet social.
En France, ces crises ont été des leviers dont se sont servis tous les adversaires de la social-démocratie, pour l’emporter au sein du Parti socialiste, et pour ressusciter une idéologie radicale marxisante à l’extérieur de celui-ci, plongeant la gauche dans une bérézina dont le point d’orgue est le résultat à élections présidentielle, ajouté à celui qui s’annonce aux législatives de Juin.
L'épisode de la présidentielle qui a vu Hollande dans l'incapacité de se présenter, Valls battu à la primaire et Hamon abandonner le terrain du moyen terme (indispensable pour une telle élection) pour un débat totalement déconnecté de la réalité, sont autant de signes d’une bérézina qui s’annonçait. Cette dernière vient de fait, conclure très tardivement la période ouverte par Mitterrand en 1971.
Avec la Victoire de Macron, une nouvelle période s’ouvre. Je ne pense pas qu’elle signifie la fin de la social-démocratie. Par contre cette dernière doit profondément s’adapter, se réformer, prendre en compte les transformations profondes de l’économie et de la société toute entière. L’explosion du numérique va transformer non seulement les conditions de la production, les contenus du travail, mais aussi les conditions de consommations, la place du client, du consommateur, de l’usager, du citoyen qui est présent à toutes les étapes du processus de fabrication ou/et de décision et qui peut/veut devenir acteur lui-même du bien ou du service qu’il veut consommer, acteur de la construction de l’avenir qu’il souhaite.
Les défis à relever pour réformer la social-démocratie ne concerne pas seulement Macron et le mouvement « En Marche », il concerne le parti socialiste aussi, à condition que ce dernier fasse des vrais choix et qu’il rompe définitivement avec l’illusion « de la pureté de l’idéal révolutionnaire pour adhérer à l’impureté pratique du compromis » [6] Je crois en effet qu’une gauche assumée comme telle est nécessaire à la reconstruction de cette nouvelle social-démocratie.
Mais ces défis concernent également tous les acteurs de tous les champs de la démocratie qui se retrouvent dans cette conception du changement, le syndicalisme, les associations agissant dans le domaine de la défense des consommateurs, de l’environnement, associations de l’économie sociale, associations liées à la défense de causes humaines et humanitaires …
Il y a là des opportunités à saisir. Il me semble que cette entreprise ne réussira pas, si chacun cherche à se réformer dans son propre tuyau: Le politique s’occupe du politique, le syndicalisme du syndicalisme, les associations de leurs associations…
Pour agir et construire une société moins inégalitaire, plus soucieuse de l’Homme et de l’environnement, il y a besoin de transversalité. Tous ces acteurs ont besoin d’espaces de réflexions et de travail en commun, car tous ont un espace commun d’action : Le Monde.
Si dans le même temps, il faut être vigilants sur la place des uns et des autres, sur l’autonomie et l’indépendance des uns et des autres, cette autonomie et cette indépendance doivent être relatives car, acteurs dans une même société, ils partagent des mêmes objectifs : Ceux du développement d’une démocratie dont le point d’équilibre permettant de vivre ensemble, ne peut se trouver que dans la confrontation, la négociation et le compromis…. Tout un programme
Gaby BONNAND
[1] Jean Marc Vittori[1] les échos du 30 Mai 2017 « Le vrai Projet Macron »
[2] Léon Blum lors de son discours au congrès de Tours de la SFIO en 1920 adresse cette mise en garde en direction de ceux qui vont choisir de créer le Parti communiste français selon les conditions fixées par Lénine : « pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison »
[3] FGDS : Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste
[4] Michel Winock dans une contribution du livre de Cécile AMAR et Marie-Laure Delorme Qu’est-ce que la gauche : « De cet échec moral du communisme, en attendant son échec matériel à la fin du XXe siècle, est sorti une version amendée de l'optimisme de gauche: la social-démocratie. Celle-ci, révoquant la pureté de l'idéal révolutionnaire, a adhéré à l'impureté pratique du compromis. Elle ne visait plus à détruire le mal, c'est-à-dire le capitalisme, mais à contrôler ses excès, à réguler son développement et, concrètement, à défendre une politique sociale réformiste, par les lois du travail et, de manière générale, par la redistribution des biens par l'impôt ».
[5] Nicolas Colin « Vers une nouvelle grande transformation » Alter éco Janvier 2017
[6] Michel Winock déjà cité