Je vous appelle « Monsieur», car je ne souhaite pas qu’une familiarité excessive de ma part suscite en vous une colère qui ne vous mettrait pas en situation d’écouter ou de lire ce que je veux vous dire si ces quelques mots vous parviennent. Oui je veux éviter cette colère qui avait été la vôtre lors d’un débat avec Daniel Cohn-Bendit quand ce dernier vous avait tutoyé.
Donc je vous dis Monsieur et j’emploierais le vouvoiement pour m’adresser à vous.
Nous sommes de la même génération. Vous êtes mon ainé de 1 an. Nous sommes nés dans les années d’après-guerre et nous sommes la génération qui a le plus profité des combats sociaux, combats pour la liberté, combats pour la paix, combats pour la démocratie qui ont jalonné l’histoire du 19° et début du 20° siècle.
Pour vous comme pour moi, les circonstances de la vie ont fait que, de manière différente certes, nous nous sommes inscrits dans cette histoire, vous par l’engagement politique, moi par l’engagement syndical.
Reconnaissons ensemble, si vous le voulez bien, que nos engagements militants se sont vécus dans des périodes beaucoup plus calmes que les engagements des générations précédentes.
Nous avons bénéficié du droit de grève et de la liberté syndicale acquis de hautes luttes en 1864 et 1884, 50 ans après nos camarades britanniques.
Nous avons bénéficié de la liberté d’expression politique, philosophique et religieuse dont la déclaration des droits de l’homme de 1789 a résonné bien au-delà de nos frontières, et a été le point de départ d'une longue histoire pour l’inscription de ces droits dans la réalité. Le 19° et le 20° siècle sont jalonnés de dates qui marquent des avancés importantes pour ces libertés, comme celle de 1901 pour la liberté d’association, celle de 1905 pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat…
Ces libertés bafouées, piétinées par le régime de Vichy, ont fait se lever des Hommes et des Femmes, qui au risque de leur vie, nous ont permis d’en jouir, à nous génération née après la guerre, pour militer et les faire progresser dans la cité et dans les entreprises, et cela sans risques pour nos vies. Ainsi nous avons pris part au renforcement de la démocratie.
Vous le savez, dans de nombreux pays, ces combats du quotidien sont menés par de nombreux Hommes et Femmes, au péril de leur vie. Que ce soit en Turquie au Venezuela, en Russie, en Chine ou encore dans de nombreux pays d’Asie ou d’Afrique. Et que dire de la Syrie et des nombreux pays en prise directe avec l’obscurantisme islamiste.
Nous avons bénéficié d’une protection sociale fruits de combats dans la clandestinité à la fin du 18° et une partie du 19° siècle et poursuivis jusque dans la clandestinité de la résistance. Cette protection sociale a donné toute sa mesure et son potentiel de redistribution de la richesse créée, à notre génération.
Nous avons été les baby-boomers qui avons bénéficié des grandes avancées qui ont permis de faire baisser la mortalité infantile et nous sommes les papy boomers qui bénéficions d’un système de retraite par répartition ayant permis à la grande majorité des retraités de sortir de la pauvreté.
Nous avons bénéficié d’une Europe en paix, et nos 20 ans n’ont pas été ensanglantés par des guerres comme ceux de nos pères, grands-pères et quelques ainés de notre génération qui ont connu les guerres coloniales.
Ce grand combat pour les libertés, les droits de l’homme et la démocratie n’est jamais achevé. Alors que la richesse créée progresse, les inégalités progressent également. Ce n’est pas vrai seulement à l’échelle de notre pays mais c’est une donnée mondiale. La pauvreté après avoir régressée durant ce que nous appelons les 30 glorieuses, a connu un nouveau développement ces dernières décennies. Le mouvement social français, européen, mondial est riche d’organisations, d’associations, d’ONG qui sans cesse se battent pour que progressent partout la liberté, la dignité humaine, pour que partout régresse les inégalités, la pauvreté, pour que partout s’étende la démocratie.
Et jamais ces acquis ne le sont définitivement. Jamais l'action ne doit s'arrêter et elle ne comporte pas les mêmes risques selon les époques et les pays. Quelle qu’aient été la dureté de certains combats syndicaux et politiques dans la période qui nous sépare des débuts de nos engagements (fin des années 60) jamais le risque de perdre la vie n'a fait parti de notre engagement. Il n'en fait pas non plus parti aujourd'hui dans notre pays. Cette réalité, qui n’enlève rien aux difficiles choix que l'action commande aujourd'hui comme hier, nous invite à l’humilité.
Je vous écris aujourd’hui, car je suis choqué par vos propos et votre posture de responsable politique, qui justement me semblent manquer d’humilité, si je peux me permettre.
Choqué particulièrement par vos propos tenus le 4 Juillet, à l’assemblée nationale en réponse à la déclaration de politique générale du Premier Ministre, Edouard Philippe
Choqué par votre choix de déserter le lieu premier du débat républicain pour le premier discours du Président de la République nouvellement élu, devant les élus de la nation réunis en congrès.
Pour qui vous prenez vous quand vous accusez le gouvernement et le Président de la République de « coup d’état social », de nous faire « entrer dans un régime de coup de force permanent contre les liberté,… de vouloir en huit jours disposer par le moyen des ordonnances du droit de renverser tout l'ordre public social de notre pays et sa hiérarchie des normes. Huit jours pour abolir les résultats de 100 ans de lutte" ?
Pour qui vous prenez vous pour vous arroger le droit de représenter tous les abstentionnistes et déclarer : "Nous ne sommes peut-être rien aujourd'hui à vos yeux, mais demain nous serons tout" ?
Vous vous inventez un monde pour vous inventer une histoire de héros national.
- Vous ne respectez pas les institutions sans lesquelles il n’y a pas de Démocratie, en désertant le congrès le 3 Juillet 2017
- Vous ne respectez pas le suffrage universel en considérant le pouvoir illégitime car le scrutin est entaché d’une abstention record, alors que dans le même temps, cette abstention ne semble pas remettre en cause la vôtre en vous attribuant unilatéralement tous la représentation de tous les abstentionnistes aux dernières élections.
- Vous ne respectez pas le parlement. Aveuglé par votre désir de devenir un héros national, vous piétinez le droit des parlementaires en considérant que votre temps de parole est les seul qui peut avoir l’appellation de « débat » - "Votre discours mérite mieux que 10 minutes de débats" dites-vous au Premier Ministre - passant par pertes et profits les interventions des 6 autres groupes, soit 60 Minutes de débats.
- Vous vous asseyez sur les corps intermédiaires et notamment le mouvement syndical. Ce dernier n'a une position unanime ni sur le recours aux ordonnances, ni sur la réforme du code du travail.
Pour vous inventer un rôle de héros, vous fabriquez un ennemi à la hauteur d’un destin national. Mais vous ne voyez même pas que vous ne respectez pas les fondements de notre démocratie.
- La France d’aujourd’hui, n’est pas la France de 1848. Macron n’est pas Guizot et vous n’êtes pas Louis Blanc.
- La France d’aujourd’hui, n’est pas la France de 1870. Macron n’est pas Adolphe Thiers et vous n’êtes pas Louise Michel
- La France d’aujourd’hui n’est pas la France de 1940. Macron n’est pas Pétain et vous n’êtes ni Léon Blum, ni le Général de Gaulle, ni jean Moulin
- La France d’aujourd’hui n’est pas la France de 1956. Macron n’est pas Guy Mollet et vous n’êtes pas Mendes France.
Alors de grâce, la France n’a pas besoin de s’inventer des histoires pour servir votre besoin obsessif de devenir un héros.
Mettez votre talent de tribun et d’homme de culture dans les pas de ceux qui ont défendu des causes dont l’histoire nous a appris qu’elles étaient justes et qui ont fait progresser les libertés et les droits de l’Homme.
- Jaurès a mis son talent de tribun à défendre Dreyfus, contre toute la gauche qui ne voyait en lui qu’un ennemi de classe.
- Blum a mis son talent pour dénoncer devant le congrès de la SFIO à Tours en 1920, les 21 conditions imposées par Lénine, en donnant à voir que l’acceptation de ces conditions allaient transformer la SFIO en Parti presque militaire et autoritaire, ce que le PCF est devenu.
- Mendes France a mis son talent au service des politiques de décolonisation.
Monsieur Mélenchon, les héros se font eux-mêmes, et rares sont ceux qui décident de la devenir. C’est l’histoire dans laquelle les ennemis sont réels, qui fait les héros.
L’hommage rendu ce jour par la Nation à Simone VEIL vaut tous les discours
Gaby BONNAND