Le gouvernement, Bruno LEMAIRE en tête, nous ont dit et redit combien les gouvernements précédents avaient été irresponsables en instaurant et maintenant la surtaxe de 3% sur les entreprises qui versaient des dividendes. Par la conjonction de 2 jugements, l’un de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et l’autre du Conseil Constitutionnel, il se trouve que cette surtaxe est retoquée.
Je ne sais pas si les gouvernements précédents ont été irresponsables, mais les décisions prises par ce gouvernement à la suite du jugement du Conseil Constitutionnel, montrent à la fois l’absurdité des politiques de court terme, et la perte de sens de l’action politique, dans une période marquée par les révélations des « Paradise Papers » faisant état de milliards échappant au fisc par des combines d’optimisation fiscale.
Résumons
Un gouvernement a considéré qu’il serait opportun que les entreprises distribuant des dividendes à leurs actionnaires soient mis à contribution pour participer un peu plus qu’elles ne le font au développement de la société française. Pas absurde comme idée ! Pour ce faire et alimenter le budget de l’Etat qui sert en fait à développer les infrastructures dont les entreprises ont aussi besoin, mais également l’éducation, la défense, la sécurité, la solidarité…, le premier gouvernement de Hollande met en place une surtaxe de 3% sur les seules entreprises distribuant des dividendes.
Grande émotion dans le monde des grosses entreprises au sein desquelles les actionnaires ont pris le pouvoir, comme le rappelle Pierre Cyrille Hautecoeur Directeur d’étude à EHESS, dans une tribune au Monde du 5 Octobre[1]. Ils crient au scandale et vont mettre en branle un processus juridique qui va aboutir aux décisions de la CJUE en Mai et à celle du Conseil Constitutionnel en Octobre.
Devant cette décision de justice, un autre gouvernement, (sous la responsabilité d’un Président de la République qui était lors de la mise en place de cette taxe, le principal conseiller du Président de la République de l’époque), décide ni plus ni moins, pour compenser le manque à gagner et la dépense que va engendrer le remboursement de la taxe perçue, de créer une taxe, non pas sur les entreprises qui versent des dividendes mais sur le montant du chiffre d’affaire des entreprises.
Résultat des courses : Des aberrations économiques, sociales et politiques
Première aberration
Un nombre important d’entreprises non capitalistiques, qui par essence ne versent pas de dividendes, n’étaient pas concernées par la surtaxe. Elles se retrouvent mise à contribution. Par cette mesure, Le gouvernement tente de faire croire que prendre le chiffre d’affaire ou le versement de dividendes, pour mesurer la richesse d’une entreprise, c’est la même chose. C’est une tromperie aussi aberrante que de vouloir faire croire qu’un compte de résultat est identique à la situation de trésorerie. Oui c’est une tromperie qui aboutit en fait, comme le dit le directeur général de la MAIF, Pascal Demurger à faire payer les entreprises non capitalistiques dont le secteur mutualiste pour les entreprises du CAC 40.
Deuxième aberration
Alors que le versement de dividendes est une preuve évidente de richesse, ce qui n’a rien de scandaleux, la nouvelle mesure qui va être appliquée, va se solder pour les entreprises qui versent des dividendes par une opération blanche. En clair, par le jeu d’une recherche d’optimisation fiscale qui a réussi à mettre un coin entre le droit européen et le droit français, les entreprises les plus riches vont certes contribuer sur leurs chiffres d’affaires, mais vont être remboursées d’une contribution sur la richesse qu’elles ont distribuée à leurs actionnaires. Cette situation est alarmante. Elle est révélatrice d’un puissant impact de la logique actionnariale dans l’évolution du droit. Cette situation mérite mieux que des sauts de cabri d’un ministre de l’économie.
Troisième aberration
Gabriel Zucman, professeur d’économie l’université de Berkeley, en Californie, rappelle dans une présentation de ses analyses sur les grandes entreprises et les paradis fiscaux, que les entreprises françaises délocalisent 23,31% de leurs profits, dans des paradis fiscaux situés en ou hors UE. « Délocalisations » qui représentent tout de même un manque à gagner de 20 Milliards € annuels pour l’Etat Français, auxquels il faut ajouter 10 Milliards € de manque à gagner du fait des dissimulations de richesses via des sociétés offshores ou autres leviers. En clair, les grandes entreprises capitalistiques par leur pratique « d’optimisation fiscale » gagnent sur tous les tableaux. La complexité des différents droits, international, européen, national est une manne utilisée par les cabinets spécialisées pour faire gagner les grandes entreprises contre les Etats. Si les mots ont un sens, alors disons clairement que s’il y a scandale d’Etat il est dans le laxisme de ceux-ci face à cette situation de détournements massifs de la richesse au profit de quelques-uns.
Il ne s’agit pas de dire que les choses sont simples. Dans un monde globalisé, la complexité est grande. Mais nous n’attendons pas des politiques qu’ils baissent les bras.
Qu’un Ministre de l’économie, à partir de décisions de justice, certes légales, mais contestables au regard d’une certaine idée de la justice, se réfugie dans de la politique politicienne en pleine révélation des « Paradise Papers » qui implique la plus grosse fortune de France, Bernard Arnault patron de LVMH et un certain nombre d’entreprises françaises dont Total, n’est pas digne.
Cette attitude est même irresponsable.
Alors qu’il y a un vrai débat sur la place de l’impôt, sur les efforts demandés aux populations, une telle attitude laisse penser que l’évasion et l’optimisation fiscales, ne sont pas des problèmes. Comment s’étonner que les citoyens soient déçus de la politique et s’en détournent ?
Alors que la dette de la France est une vraie question pour notre avenir commun, une attitude aussi complaisante avec les pratiques d’optimisation fiscales des grandes entreprises, est de nature à laisser penser que finalement la dette, ça ne doit pas être si grave puisque on peut se passer de plusieurs dizaines de milliards qui échappent au fisc par ce genre de pratique.
Plutôt que d’être dans la dénonciation des gouvernements précédents, ou dans l’incantation quant à l’évasion fiscale, le gouvernement et le ministre de l’économie en particulier ferait bien de s’inspirer pour son action en France et dans les instances internationales, des propositions faites par ces 2 chercheurs cités dans le texte, notamment l’« Etablissement d’un cadastre financier mondial, permettant d’en savoir beaucoup plus sur la distribution des richesses », pour Zucman. Une approche de la gouvernance des entreprises qui inclue toutes les parties prenantes, pour Hautecœur.
Je sais que ces questions ne sont pas du seul ressort national, qu’elles impliquent des réponses européennes et mondiales et que « des progrès importants ont été réalisés dans la lutte contre les paradis fiscaux ces dix dernières années », comme le dit aussi Gabriel Zucman. Mais ce dernier avertit qu’en même temps, « l’opacité financière s’est renforcée ». Il interpelle l’Europe « qui perd beaucoup plus que les Etats-Unis, et semble endormie face aux dérives de la finance offshore », ajoutant en direction de la France que cette dernière s’engage dans une voie qui est inverse des pratiques qui se développent dans quelques pays, visant à améliorer les statistiques . En effet « avec la suppression de l’impôt sur la fortune, l’opacité entourant les hauts patrimoines va atteindre des nouveaux sommets, car l’ISF était la seule source de données publiques sur les grandes fortunes »
[1] « A partir des années 70, le pouvoir managérial fut battu en brèche par la doctrine qui définit la valeur actionnariale est devenue l’objectif ultime de toute entreprise et fonde le pouvoir des seuls actionnaires… »