Le développement des contrats collectifs dans le domaine de la santé semble être considéré parfois comme contradictoire avec une démarche d’universalisation de la protection sociale dans une logique de droits rattachés à la personne. Je ne partage pas cette analyse pour plusieurs raisons.
Le statut de salarié ne génère pas un doit à des garanties, il génère une participation de l’employeur au coût de la cotisation.
Dans le cadre de la loi portant généralisation de la complémentaire santé, le droit de bénéficier de garanties du contrat collectif est certes lié à l'appartenance à l'entreprise ou à la branche, mais pas au statut.
Lorsque le salarié quitte l'entreprise pour partir à la retraite, il ne perd pas le droit aux garanties. Il perd le bénéfice de la prise en charge partielle de sa cotisation par l'employeur
Lorsque le salarié quitte l'entreprise après un licenciement ou une rupture de CDD, son droit aux garanties perdure.
En fait si le contrat collectif et donc le statut de salarié, ouvre le droit à une participation partielle de l'employeur au coût de la cotisation, il n’est pas juste de dire que c’est le statut de salarié qui ouvre le droit à des couvertures complémentaire. Il est d’autant moins juste de le dire que le panier de soins prévu par la loi de généralisation de la complémentaire santé et celui défini par le contrat responsable sont sensiblement identiques.
Il ne s’agit pas pour autant de nier l’avantage que procure le contrat collectif en termes de coût de cotisation à une catégorie de personnes qui ont le statut de salarié. Avantage qui constitue tout de même un progrès puisque 4 millions de salariés supplémentaires bénéficient de cet avantage, sans avoir pour autant dégradé la situation des autres.
L’Universalité de la protection sociale ne signifie pas que les individus vivent en dehors de toute appartenance géographique et professionnelle
L’universalisation de la protection sociale en matière de santé structurée autour de droits rattachés à la personne et non pas au statut, ne signifie pas pour autant que l’individu en question est « Hors sol ». Les individus que l’Etat se doit de protéger contre les risques de la vie par des systèmes publics obligatoires, solidarisant les individus entre eux, sont des individus qui vivent sur un territoire, qui ont une activité professionnelle…, autant de champ qui ont un impact sur leur santé.
Travailler de manière spécifique sur ces champs pour améliorer leur impact sur la santé des individus, est un défi pour les acteurs de la complémentaire santé et notamment pour les mutuelles. Ils ne sont pas concurrents des systèmes publics. Ils ne sont pas uniquement des acteurs complémentaires de financement. En contribuant à réduire les impacts négatifs de ces champs sur la santé, ils sont des acteurs contribuant à améliorer le « bien-être » des hommes et des femmes.
L’universalisation de la protection sociale s’inscrit dans une démarche plus large visant à faire évoluer notre système de santé essentiellement orienté vers les soins, le curatif, vers une approche d’avantage axée sur la prévention.
La part du budget accordé aux politiques de prévention n’atteint pas 7% des dépenses totales de santé. Dans cette approche, l’action sur les déterminants de santé dont le travail, est un enjeu majeur.
Dans une approche santé au sens large du terme, prenant en compte les déterminants en santé, l’élément fédérateur du contrat collectif doit être le travail, les activités exercées. De ce point de vue les contrats collectifs en santé ne sont pas en contradiction avec l’évolution en cours de la protection sociale. Au contraire, ils sont l’occasion d’organiser sur un champ ayant un impact sur la santé, des actions et des solidarités permettant d’améliorer la santé des individus concernés.
Inutile de rappeler l’importance du travail, de son organisation, des conditions dans lesquelles il est réalisé comme élément impactant la santé des individus. Le 3° plan santé au travail 2016-2020 insiste fortement sur l’importance des politiques de prévention, et pour ce faire, sur le nécessaire développement d’une culture de la prévention : « La période 2016-2020 devra ainsi initier cette nouvelle donne, cette réorientation de fond en faveur du travail, pour concourir au passage d’une politique trop tournée vers le soin et la réparation à une politique de promotion de la santé, de prévention. ». Dans ce contexte, le contrat collectif doit être un vecteur de cette dynamique.
Ainsi, loin d’être un lieu d’enferment corporatiste tournant le dos à une vision universelle de la protection sociale, le contrat collectif devient un véritable levier pour développer une démarche de prévention, un levier pour développer une démarche santé au sens de la définition qu’en donne l’OMS[1] .
Sans nier l’importance pour les salariés concernés, de la réduction du coût de la cotisation permise par le contrat collectif, si l’intérêt de ce dernier se limitait à cet avantage, je serais probablement d’accord pour considérer que le coût pour les finances publiques serait très et trop élevé.
L’intérêt du contrat collectif est d’en faire un levier pour agir sur le travail. Les impacts du travail de son organisation, de son environnement sur la santé des individus ne sont plus à démontrer comme nous l’avons écrit dans notre rapport remis au 1° Ministre en Mars 2017[2] concernant la mise en œuvre du Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité.
La négociation collective pour la mise en place d’un contrat collectif est l’occasion de faire des questions de santé dans les entreprises un objet de négociation dans la perspective de prendre en compte la spécificité des activités de l’entreprise ou de la branche
- pour y développer des garanties et des services adaptés
- pour déployer des actions de prévention spécifiques aux secteurs concernés
- pour y organiser des solidarités professionnelles sans lesquelles la solidarité interprofessionnelle et la solidarité nationale sont impossibles.
Enfin, développer cette approche des contrats collectifs nécessite de préciser des questions relatives à la portabilité. Faut-il porter un droit à une prise en charge partielle de la cotisation ? Faut-il porter un droit à des garanties spécifiques au milieu de travail, mais plus du tout adaptées à celui qui quitte l’entreprise ou le secteur professionnel ? Faut-il porter un droit à la prise en compte obligatoire dans les garanties les déterminants qui impactent les plus la santé des individus, quel que soit le mode d’accès à la couverture dite complémentaire?... Autant de questions à approfondir pour faire progresser le droit de tous et toutes
Gaby BONNAND
[1] « La santé est un état de bien-être complet physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». (Préambule de la constitution de 1946 de l’OMS)
[2] Rapport au Premier Ministre « Améliorer la santé au travail, l’apport du dispositif Pénibilité » Gaby Bonnand, Pierre Louis Bras, Jean François Pillard. Rapporteur Stéphanie Dupays. P 5 et suivantes