Le 4 Janvier Muriel Pénicault était l’invitée de la matinale de France Inter. L’occasion pour un auditeur de lui poser une question avec une pointe d’accusation: Pour moi, retraité, les réformes de la majorité gouvernementale vont avoir pour effet de faire baisser mon pouvoir d’achat de 620 € par an tandis que pour vous ces réformes vont vous rapporter 62 000 €.Est-ce que vous trouvez cela juste ?
Que répond Muriel Pénicault à la question ? Tout d’abord qu’effectivement elle a bien gagné sa vie et qu’elle paie des impôts. Ensuite, elle fait part de son intention d’investir ce qu’elle va gagner par la réforme de de l’ISF, dans un fond qui soutient l’économie sociale et solidaire. Elle dit également soutenir par le mécénat des artistes engagés sur le plan social… Je dis clairement. Je n’ai aucune raison de douter de cet engagement, d’autant qu’ayant connu Madame Pénicault dans le cadre de mes responsabilités syndicales, je ne suis pas étonné de ses choix.
Cependant, la réponse de Muriel Penicault me suggère quelques réflexions sur le débat concernant la lutte contre les inégalités d’une part et sur la fonction de l’impôt d’autre part. Ces 2 réponses posent les termes du débat que nous devrions avoir dans l’espace public, comme dans les partis politique et qui ont trait à la lutte contre les inégalités, et plus largement au rôle de l’Etat et à la démocratie.
Lutte contre les inégalités et distribution primaire
La première partie de la réponse de Muriel Pénicault qui dit avoir bien gagné sa vie, pose les premiers éléments du débat du fait des gains importants de la ministre lorsqu’elle était en activité et qui ont fait l’objet de polémiques dans la presse mais aussi d’une transparence du fait de la publication de son patrimoine. Les éléments du débat, posés par cette réalité qui dépassent la personne de Muriel Pénicault, ont trait aux conditions de la production et de la distribution primaire permis par celle-ci. Nous avons assisté ces dernières décennies à une envolée des écarts entre rémunérations des salariés et dirigeants exécutifs, notamment dans les grandes entreprises. Ces écarts peuvent aller de 1 à 200, 300 voire 700 fois parfois, alors que ces écarts étaient il y a une 40aine d’année de 1 à 40.
La question posée par ces situations ne sera pas uniquement résolue par la redistribution par l’impôt. Si l’impôt doit corriger les inégalités, le terrain de la production des biens et des services, des conditions de leur fabrication et de leur réalisation, constitue le premier terrain de lutte contre les inégalités, en remettant remise au cœur de la distribution, le travail, sa qualité, comme celle des produits et des services rendus.
Force est de constater que depuis « l’avènement » du capitalisme financier, les intérêts de entreprises et de leurs dirigeants se sont alignés sur ceux de actionnaires, entrainant les dérives dans les rémunérations des dirigeants[1] et un accroissement des inégalités, réduisant le travail à un simple échange marchand entre un salarié et un employeur.
De ce point de vue le projet de loi sur l’entreprise constitue une opportunité pour considérer les intérêts des autres partie-prenantes, comme essentielles, à condition que les intentions se concrétisent dans les faits, entre autre :
- par une place des représentants de salariés dans les Conseils d’Administration de manière plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui
- par une place donnée au dialogue social qui ne contourne pas les organisations syndicales.
Lutte contre les inégalités et l’impôt.
La deuxième partie de la réponse de Muriel Pénicault est instructive. Elle dit vouloir utiliser les sommes gagnées par la réforme de l’ISF en investissant cette somme dans un fonds qui soutient l’économie et solidaire et continuer à faire du mécénat en soutenant des artistes. Il n’y a aucune raison de ne pas croire madame Pénicault. Je m’en suis expliqué plus haut.
Mais au-delà de la personne de madame Penicault, cette attitude est révélatrice d’une conception libérale[2] de la place de l’Etat et par conséquent de son rôle dans la redistribution, et d’une certaine manière d’une conception de la démocratie.
Premièrement elle est révélatrice, de la part de la majorité actuelle, d’une forte critique d’un Etat omniprésent, suspecté d’entraver la liberté d’action des individus. De cette vision découle une approche très négative de l’impôt dans la redistribution, préférant laisser les individus choisir les cibles de cette redistribution. En effet pourquoi faut-il alléger les impôts permettant à certains bénéficiaires de ces allègements d’investir dans des domaines qui en principe doivent également ressortir d’une politique publique ? Soutenir l’économie sociale et solidaire, aider la culture ressort en partie de politique Publique. Nous manquons dans ces domaines de moyens. Par les choix fiscaux, de nombreuses associations de l’économie solidaires se sont trouvées, par exemple, mis en difficulté par la suppression des emplois aidés.
Deuxièmement, dans cette même logique, cette attitude est le signe d’une préférence pour la majorité actuelle, pour le développement de grandes fondations favorisant des actions en direction de cibles qu’elles-mêmes choisissent. Un amendement dans la loi de finance pour 2018 a d’ailleurs élargi les possibilités de collectes pour les fondations d’entreprises.
Cette conception interroge une autre conception, très centralisée et très englobante qui est celle portée par la gauche le plus souvent : Conception qui donne à l’Etat une place forte voire exclusive pour organiser la redistribution et plus largement structurer la démocratie.
Pour une partie de cette gauche, l’Etat est considéré par définition, comme le représentant de l’intérêt général autour duquel s’organise a démocratie. Le renvoie permanent à l’Etat comme réponse à tous les problèmes rencontrés par notre société que ce soit en terme de lutte contre les inégalités, d’approfondissement de la démocratie, et son relatif échec dans ces 2 domaines ne peut que nourrir une défiance à son encontre.
En clair, il me semble que ces 2 logiques se nourrissent entre elles. Elles ont un point commun. Elles ignorent les corps intermédiaires comme représentant d’intérêts collectifs spécifiques, mais concourant, par la confrontation entre eux, à la construction de l’intérêt général. Celui-ci ne peut ni être défini par avance et de manière intemporelle et désincarnée, ni être le résultat d’une addition d’actions individuelles quand bien même celles-ci seraient réalisées avec toutes les bonnes intentions du monde.
Alors, je conçois tout à fait légitime la demande d’une plus grande liberté individuelle pour choisir l’utilisation de son gain, à condition que cette possibilité soit réelle pour tous, même à des degrés divers.
Or dans une période où la distribution primaire est totalement déformée sous l’effet de gouvernances d’entreprises alignées sur les seuls intérêts, le plus souvent de court terme, des actionnaires, entrainant une explosion des inégalités, ce n’est pas le cas.
Si nous ne voulons pas nous résigner à l’une ou l’autre alternative décrites dans le papier, il y a place au travail pour inventer à la fois d’autres formes de lutte contre les inégalités que l’on nous propose aujourd’hui et d’autres voies pour approfondir la démocratie. Voies qui donnent toute sa place, à l’individu, tout en participant à la construction de solidarités indispensables pour faire société.
Gaby BONNAND
[1] Même si pour justifier ces envolées des rémunérations, certain prétendent qu’il y a marché international, ce qui n’ jamais été prouvé comme le note le rapport de Terra Nova sorti en 2011 Pour une régulation des hautes rémunérations, «Le « marché des dirigeants », souvent évoqué par les organisations patronales comme une contrainte nécessitant « d’aligner » les rémunérations sur ce standard, ne présente pas de réalité en pratique pour l’immense majorité des dirigeants français, du fait de la barrière de la langue et de l’absence de transférabilité complète des compétences. On constate empiriquement, comme le souligne Olivier Godechot, que les PDG français sont faiblement mobiles ».
[2] J’emploi ce terme en référence à une approche libérale que l’on retrouve chez Tocqueville. « Tocqueville Aujourd’hui de Raymond Boudon Odile Jacob 2015 P244 -252 entre autre