La logique qui sous-tend le projet de réforme de l’assurance chômage contenu dans le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » est moins une logique d'universalité qu’un habillage d'un processus visant à installer un socle minimum public garanti en cas de chômage, au moindre frais.
Que le maintien d'un système de couverture chômage en 3 grands piliers indépendants suivant la situation des individus au chômage ( assurance chômage, ASS et RSA), ne soit plus possible, est d'une évidence. D'ailleurs de nombreuses organisations, dont la CFDT, n'ont pas attendu la présidence de Macron pour le dire et faire des propositions de réforme, tant la protection dans ce domaine ne favorise qu’insuffisamment la sécurisation des parcours professionnels des individus.
Une restriction des moyens appelée universalisation
Alors que cette démarche est présentée comme l'expression d'une volonté de couvrir plus de monde, notamment les démissionnaires et les travailleurs indépendants, la réforme proposée au débat parlementaire prévoit un élargissement de la couverture à 25 000 démissionnaires environ sur plusieurs dizaines de milliers et une trentaine de mille d'indépendants dont sont exclus les autoentrepreneurs qui devraient en être les principaux bénéficiaires.
C'est un abus de langage, voir une escroquerie que de parler d'universalisation d'un système qui, par la réforme, va concerner à peine 60 000 bénéficiaires de plus, qui vont s'ajouter au plus de 2 millions d’individus couverts actuellement par le régime d'assurance chômage.
Alors que l'universalisation proposée passe par la substitution des cotisations des salariés par la CSG, et progressivement celles des employeurs par la pérennisation des exonérations et de leur compensation au régime, cette nouvelle assiette est contrainte dans son rendement. En effet, par des artifices, dont seuls les gens de Bercy sont capables d'inventer, les sommes affectées à l'assurance chômage sont figées à ce qu'elles sont aujourd'hui et ne dépendront pas du produit de la contribution qui lui est affectée.
En résumé l'universalisation façon Macron, c'est un peu plus de monde à couvrir sans augmentation du volume de la collecte.
Un mélange de concepts et de slogans, pour cacher une logique de restriction budgétaire
Quand Michel Rocard à inventé la CSG, il a fait preuve d'innovation sociale qui a d'ailleurs donné lieu à du contentieux concernant le statut de ce prélèvement. Impôt selon le Conseil Constitutionnel, cotisation sociale selon la Cours de Justice de l'Union Européenne, l'invention de ce prélèvement répondait avant tout à un objectif politique: Universaliser une partie de la protection sociale, celle concernant des prestations sans rapport avec le salaire, maladie et famille notamment, tout en bénéficiant de ressources supplémentaires.
Michel Rocard qui avait une longue pratique d'action publique s'était appuyé pour lancer cette innovation, sur les travaux de préparation du IXe plan, et du rapport des sages des états généraux de 1986.
Pour Rocard l'innovation financière et budgétaire reposait sur une volonté manifeste d'innovation sociale. Son cap ne se résumait pas à quelques slogans d’apparent bon sens.
Rien de tel dans le projet présenté dont les caractéristiques sont une impréparation totale, une méconnaissance du dossier et l’enrobage du tout par une "bouillie" mélangeant concepts et slogans. Autant de points qui tuent l'idée même d'innovation
Que faire maintenant ?
Si la substitution par la CSG, des cotisations salariales, ne doit pas être remise en cause, celle-ci doit s'accompagner de trois conditions:
- La part de la CSG nouvellement créé, dans le but de se substituer aux cotisations des salariés, doit être totalement affectée à la couverture chômage, sans limiter cette affectation à la volumétrie financière d'aujourd'hui. Ainsi des perspectives seront ouvertes pour élargir progressivement la couverture à plus de démissionnaires et plus de travailleurs indépendants (notamment les autoentrepreneurs), et faire de cette couverture un levier de sécurisation des parcours professionnels.
- L’évolution du régime ne doit pas être l’occasion d’une remise en cause de ce qui constitue une convention collective interprofessionnelle. En effet le régime d’assurance chômage ressort d’une logique de convention collective interprofessionnelle qui vient compléter un droit public. Quand l’accord de 1958 voit le jour, ce régime est un régime complémentaire à l’aide publique versée par l’Etat.
La remise en cause de cette logique reviendrait à priver les représentants de travailleurs de leur capacité à négocier avec la partie patronale, des droits non pas rattachés au statut, mas à la situation de travailleurs, quel que soit le statut.
Par ailleurs cette remise en cause ouvrirait à la libre concurrence, un terrain sur lequel s’organise par la négociation et la démocratie sociale, un espace de solidarité interprofessionnelle.
- La troisième condition est le prolongement de la deuxième. Sur la base des travaux et des décisions du Conseil Constitutionnel, du Conseil d'Etat et de la Cours de Justice de l’Union Européenne, Le caractère hybride de la CSG dont l’assiette repose sur 75% environ sur les revenus d’activité, doit donner lieu à un travail d'exploration d'une voie juridique, permettant au régime d'assurance chômage rénové, de verser à la fois une prestation non contributive (pour reprendre les termes du Conseil d’Etat) et des allocations de chômage dont le montant pourrait tenir compte des revenus perçus durant la période d’activité précèdent la période de chômage.
C’est probablement un travail ardu, pour lequel j’en suis sûr beaucoup de « défaitistes » ne verront dans ces propositions que des utopies irréalisables. Je ne suis ni juriste ni économistes, mais je sais qu’au moment de la création de la CSG, de nombreux "défaitistes" considéraient l’idée comme saugrenue et impossible à mettre en œuvre. Aujourd’hui, elle constitue la plus grande transformation que notre système de protection sociale ait connue et rapporte plus que l'impôt sur le revenu.
Comme quoi dans l’ancien monde, l’imagination et l’innovation sociale était peut-être d’avantage au pouvoir que dans le nouveau monde. Finalement, d’où qu’elle vienne, l’idée de « faire du passé table rase » n’est bonne pour personne.
Gaby Bonnand