Dans la déferlante de discours et de mesures législatives qui occupent l’espace social depuis l’élection d’Emmanuel Macron, il y a une sorte de paradoxe. D’un côté on vante les mérites de ceux qui entreprennent (essentiellement dans le domaine des startup) et on n’hésite pas à faciliter ces initiatives par des mesures fiscales. Et tant pis, si elles provoquent des inégalités.
D’un autre côté, on monte au créneau pour dénoncer les situations de rentes que génèrent des protections sociales pour certaines catégories de population, on crie au scandale devant une assurance chômage qui ne couvre par les indépendants ou les démissionnaires, on critique fortement les pensions de reversions au motif que cette mesure déroge au nouveau dogme du »1€ cotisé doit donner les mêmes droit pour tous », bref, on en appelle à l’universalisation de la protection sociale au nom de la défense de l’égalité.
D’un côté une liberté accordée aux « citoyens entrepreneurs », au risque de développer des inégalités fortes voire très fortes, de l’autre l’accent mis sur l’égalité de prestations sociales entre les individus et non pas sur l’égalité entre individus.
D’un côté on parle d’individus auxquels on donne plus de liberté, de l’autre on parle d’égalité de prestations pour les individus. Ça n’a strictement rien à voir avec les principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui concerne les individus qui eux sont différents et uniques et aspirent à vivre ensemble.
Il y a là un tour de passe-passe, qui de manière pernicieuse laisse penser que les réformes répondent à un besoin de plus de liberté et plus d’égalité qui seraient par nature conciliables. Or tous les démocrates, tous les progressistes de bonne foi savent que « liberté » et « égalité » sont par nature conflictuelles. Faire vivre ces 2 valeurs dans la vie quotidienne, ne passe pas par des discours ou des tours de passe-passe mais par des recherches permanentes de compromis entre ces 2 principes.
Cette approche différenciée de la manière de concevoir le principe de liberté et celui d’égalité comporte des risques et je voudrais dans ce billet en aborder deux :
La justification d’une méthode de gouvernement par le centre et la verticalité
Cette approche différenciée est tout à fait utile pour un gouvernement qui considère que les réformes se décrètent plus qu’elles se construisent.
En effet considérer que liberté et égalité ne se conjuguent pas de manière naturelle, c’est reconnaître qu’il y a conflits possibles. Reconnaître qu’il y a conflits possibles, c’est mettre en œuvre de manière organisée, les conditions pour trouver des solutions et des réponses à ces conflits, par la recherche de compromis. Ce n’est pas qu’une question de forme mais bien une question de fond,
Or, rien aujourd’hui, nous laisse entrevoir que ce gouvernement est à la recherche de compromis tant pour la construction des réformes que dans leurs mises en œuvre. Jusqu’à ce jour Macron et son gouvernement n’ont rien montré de probant qui permettrait de dire qu’il veut entrer dans cette démarche.
Cette démarche est pour ma part contraire à une vision sociale-démocrate que défendait Michel Rocard. Et encore une fois contrairement à ce qu’affirme le think-tank « Démocratie vivante », il n’y a pas filiation entre Rocard et Macron sur la conception de la réforme. Même s’il est trop tôt pour faire un bilan des politiques conduites par Macron, il n’est pas trop tôt pour dire que la façon Macron s’oppose radicalement à la façon Rocard.
Une déconstruction de la solidarité au profit d’une approche assurancielle et individuelle de la protection sociale.
Le traitement différencié entre liberté et égalité, au profit d’une plus grande liberté effective pour quelques-uns seulement, et au détriment d’une recherche d’égalité (et pas d’égalitarisme), introduit un biais dans la mise en œuvre d’une protection sociale universelle.
Sans faire de procès d’intention, la mise en place de ce qui est présentée comme une assurance chômage universelle, se traduit en cas de perte d’emploi, pour les nouveaux entrants ne payant pas de cotisations (indépendants), par une allocation forfaitaire de 800€ environ, pour 6 mois seulement. Ajoutons que ça ne concernera que 30 000 personnes; Très loi donc d'une universalisation.
La démarche d’Emmanuel de Macron visant à instituer une protection sociale universelle reposant sur l’impôt, conduit inexorablement à la mise en place d’une protection sociale minimum pour tous. Les prestations versées seront peut-être moins inégalitaires, mais la société, elle sera toujours inégalitaire et ces inégalités se renforceront par la capacité des uns et l’impossibilité des autres à s’offrir des protections auprès des assurances qui reposent sur des critères radicalement différents que les assurances sociales collectives.
Les premières reposent sur la segmentation entre population homogène pour adapter des produits à chacune des catégorie sans solidarité entre les groupes, alors que les secondes reposent sur la mutualisation la plus grande possible entre l'ensemble des individus pour organiser la plus grande solidarité entre eux.
Chaque fois que la protection sociale collective[1] baisse, la matière assurable progresse. Chaque fois que la matière assurable progresse, des intérêts privés pour assurer cette matière est aiguisée pour qu’elle devienne un objet de profit à se partager entre associés.
Dans une évolution de ce type, le mouvement mutualiste a d’énormes responsabilités.
Si le scénario d’une protection sociale minimum n’est pas encore une réalité dans notre pays, une forte logique de réduction de la dépense publique consacrée à la protection sociale, crée les conditions pour la mettre sur les rails . Le risque de cette trajectoire est d’autant plus réel que les initiateurs des réformes habillent cette réduction de la dépense publique d’un discours valorisant l’universalité de la protection sociale contre une protection sociale dépensière et inégalitaire qui caractériserait notre système.
Oui, il y a des protections sociales à revoir. Oui notre système est à repenser, moins parce qu’il génère des rentes de situation ou parce qu’il serait inégalitaire que parce qu’il ne prend pas en compte une partie de la population qui est exclu du travail sur lequel repose encore notre système.
Dans ce contexte, le discours sur l’universalisation de la protection sociale est trompeur car il cache une réalité qui n’a rien à voir avec une amélioration de la protection sociale comme le montre le projet de loi de l’assurance chômage.
Alors dans ce contexte qu’il ne faut surtout pas nier, la responsabilité du mouvement mutualiste est énorme.
Soit il se situe comme un assureur classique et favorise cette tendance à une universalition de la protection sociale minimum pour développer la matière assurable et prendre des parts de marché.
Soit il articule de manière intelligente son rôle de mouvement social pour développer avec d’autres une conception de la protection sociale permettant d’accompagner les parcours professionnels et de vie de tous et de chacun (logement, formation, santé, chômage, retraite…) et son action dans ses entreprises mutualistes pour bâtir des réponses autres qu'assurantielles pures.
Les choses ne sont pas faciles et ne le seront pas plus à l’avenir. Le mouvement mutualiste doit inventer un modèle économique en phase avec sa volonté de développer une protection sociale de haut niveau, qui permette à la fois de faire société et de permettre à chacun d’accéder individuellement à des protections et services dont il a besoin.
Sa non-lucrativité d’une part, et sa forme de d’entreprise reposant sur l’implication des individus sont deux atouts majeurs pour relever le défi. A condition de rendre lisible et compréhensible ce modèle capable de générer des engagements citoyens.
Gaby BONNAND
[1] La protection sociale collective n’intègre pas seulement le socle public, mais tous les acteurs qui agissent dans la protection des individus qui ne se définissent pas comme des entreprises dont l’objectif est de faire du profit pour le partager entre les associés.