Dans la « Revue d’économie industrielle » de Mars 2018, 3 économistes, Philippe Abecassis, Nathalie Coutinet et Jean Paul Domin, publient un article[1] traitant des risques de démutualisation, consécutives aux restructurations qu’a connu et que connait encore le secteur mutualiste et paritaire de l’assurance maladie complémentaire, conduisant à « un phénomène de concentrations/hybridations, « susceptibles d’affecter les valeurs sur lesquelles ces acteurs s’appuient ».
L’intérêt premier de l’article est de monter comment les réglementations internationales (accord de Bâle, normes comptables IFRS…), européennes (directive assurance de 1992, Solvabilité 1 et 2…) et nationales (code de la mutualité de 2001…) ont progressivement contraint les acteurs mutualistes et paritaires de la complémentaire santé, à l’instar du secteur bancaire mutualiste et coopératif, à se restructurer pour opérer sur un terrain concurrentiel. Restructurations qui selon les auteurs transforment le système français de la complémentaire santé. Transformation, d’une part « en tendant à aligner le statut des mutuelles et des IP sur celui de compagnies d’assurances » et d’autre part en introduisant un risque marché qui s’accompagne de réglementation « visant à assurer la solvabilité des assureurs ».
Le deuxième intérêt est la comparaison entre les 2 secteurs en prenant appui sur des acteurs précis, Crédit Agricole et Crédit Mutuel pour les banques ; Harmonie, Istya et Humanis pour le secteur de la complémentaire santé. Cette comparaison montre que les causes identiques qui ont présidé aux restructurations et à des concentrations dans les 2 secteurs, ne produisent pas tout à fait les mêmes effets dans les 2 secteurs comparés et entre acteurs d’un même secteur. Il ressort de cette comparaison que les acteurs mutualistes et paritaires historiques de la complémentaire santé ont conduit ces restructurations, en privilégiant différents outils de coopération leur permettant d’élaborer une gouvernance commune « fondée sur des principes coopératifs tout en conservant leur identité et une certaine autonomie ».
Mon résumé est très très succin, je ne conteste pas, mais il montre l’intérêt de l’étude et j’encourage les lecteurs de cet article à le lire.
Si je trouve donc l’étude tout à fait intéressante, je voudrais tout de même m’étonner de l’imprécision qui entoure quelques propos. Par exemple les secteurs mutualistes et paritaires ne sont pas différenciés, hormis simplement en note de bas de page pour dire que les mutuelles ressortent du code la mutualité et les IP du code de la Sécu, sans en tirer des conséquences dans l’analyse des trajectoires des uns et des autres. Pourtant comment parler des restructurations des IP sans ne jamais évoquer la branche retraite des IP qui a fait l’objet de différents accords collectifs interprofessionnels dont celui de 1999 qui créé un régime unique en lieu et place de 44 régimes avec pour effet une réglementation unique, une seule valeur du point et d’un seul salaire de référence ? Ces accords, parce qu’ils rendent le terrain de la retraite non concurrentiel, sont déterminants dans les fusions qui se sont opérées dans les IP. Ne pas les évoquer introduit des biais nuisibles à la compréhension des mouvements que ce secteur a connu et peut conduire à des erreurs dans les conclusions et enseignements à tirer.
Je m’étonne également d’une donnée de départ qui consiste à dire que « L’augmentation de la taille du marché de la complémentaire santé est principalement due au désengagement de l’Assurance Maladie Obligatoire et à l’augmentation consécutive du reste à charge. La part de l’assurance maladie complémentaire dans le financement de la consommation de soins et de biens médicaux est passée de 5,3% en 1980 à 13,3% en 2015. Le désengagement de l’assurance maladie obligatoire se traduit donc par une augmentation globale de la part du financement privé de la santé »
Si cette donnée de départ n’enlève pas de la pertinence de l’analyse développé par les auteurs concernant les conséquences des différentes réglementions internationales, européennes et nationales sur les acteurs mutualistes et paritaires de la complémentaire santé et leurs effets de concentration/hybridation dance ce secteur, il n’empêche que la réalité décrite par le paragraphe reproduit ci-dessus, n’est tout simplement pas la réalité.
A en croire les auteurs, ou du moins à lire leurs propos, on pourrait penser que le désengagement de l’Assurance Maladie 0bligatoire est de 8%, puisque la part de l’assurance complémentaire est passée de 5,3 à 13,3%. Or c’est faux. La DRESS[2], dans une étude publiée en Juillet 2017[3] traitant des dépenses de santé depuis 1950, écrit « La part de la consommation de soins et de biens médicaux financées par la sécurité sociale atteint son point haut (80%) en 1980. Ensuite cette part se stabilise autour de 77% jusqu’en 2015 ».
Si effectivement cette donnée n’invalide pas l’analyse produite par les auteurs, elle vient tout de même entacher sa rigueur. Pour les auteurs, le seul postulat de départ entraînant les mouvements de concentrations/hybridations du secteur, accompagnés ou suscités par les réglementations internationales, européennes et nationales, est le désengagement de l’Assurance Maladie Obligatoire.
Or il s’avère que les choses ne sont pas si simples. Quand on regarde de près l’évolution des dépenses de santé depuis 1980 date de référence pour les auteurs, on constate que la part de la dépense à la charge des ménages qui représentait autour de 12% en 1980, représente aujourd’hui 8%, soit une baisse de 4 points.
Avec ces précisions que les auteurs ne mentionnent pas, il s’avère que les complémentaires santé se sont développée à la fois sur un « désengagement » de l’Assurance Maladie Obligatoire pour 3%, mais aussi pour prendre en charge des dépenses assurées par les ménages pour 4%. En clair la part de « marché » gagnée par les acteurs de la complémentaire santé s’est d’avantage agrandie par leur action pour diminuer la part des ménages que par le « détricotage » de la Sécu.
Cette précision n’est pas anodine, car au regard de la part qu’a pris la protection sociale collective d’entreprise dans cette augmentation de la place des complémentaires, les acteurs syndicaux qui ont été et sont des pièces maîtresses de ce développement, n’ont pas eu et n’ont pas pour objectif un désengagement de la Sécu. Ils ont pour objectif de rendre plus accessibles les soins aux individus, et de ce point de vue la complémentaire était une nécessité en 1980 comme elle l’est encore aujourd’hui.
Dire cela n’invalide pas pour autant l’analyse des auteurs, mais je la pense plus complexe. Les acteurs de terrain qu’ils soient mutualistes ou syndicalistes, ne peuvent pas choisir la réalité sur laquelle ils agissent. Elles s’imposent à eux, ce qui ne signifie pas qu’ils doivent la subir. Non ils peuvent la changer, influencer les logiques de transformation, mais à condition de partir d’un état des lieux tels qu’il se présente et pas tel que l’on voudrait qu’il soit.
Gaby Bonnand
[1] Revue d’économie industrielle N°161 - 1° trimestre 2018 : « La transformation de l’Assurance Maladie Complémentaire à la lumière de la démutualisation/hybridation des banques coopératives »
[2] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la santé
[3] Etudes et résultats Juillet 2017 numéro 1017