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Ce qui se passe chez les gilets jaunes dans l'épisode actuel de tentative de structuration du mouvement par la désignation de "porte-paroles", de « communicants » est très intéressant.
En effet, cette phase de désignation de gens qui devront être représentants du mouvement, fait entrer ce dernier dans l'expérience concrète de mise en place d'instances de représentations, en même temps qu'il semble rejeter tous les corps intermédiaires déjà constitués.
Cette apparente contradiction met le doigt sur ce qui m’apparait depuis longtemps comme une difficulté, voir une faiblesse de notre vie démocratique, à savoir Comment rendre pérenne une vitalité démocratique dans un monde qui se transforme, où l’éclatement des unités de travail viennent avec les fractures géographiques fragilisés les lieux traditionnels d’organisations collectives et accentuer les inégalités.

Les institutions qui structurent notre démocratie ne sont pas nées de rien. Elles s’inscrivent dans une histoire longue. Le syndicalisme par exemple n’est pas né un beau matin comme par enchantement. Il n’ait qu’à se replonger dans des textes, études, livres qui relatent les débats et la situation sociale de l’époque pour se rendre compte que le syndicalisme est une construction progressive et conflictuelle  et non pas une chose tombée d’on ne sait où il y a 150 ans et qui survivrait encore aujourd’hui.

Cette histoire nous rappelle également que la relation entre des individus unis par une relative communauté d’intérêts à un moment donné ou dans une période donnée, du fait d’un vécu commun et les pouvoirs économiques dominants d’une part et les pouvoirs politiques gouvernants d’autre part, passent nécessairement par des formes de représentations collectives.

L’épisode de désignation de représentants des gilets jaunes a, de ce point de vue, quelques ressemblances avec ce que le mouvement ouvrier a connu dans la période qui a précédé la loi dite de reconnaissance du syndicalisme en 1884.

Depuis, le temps a fait son chemin et les hommes et les femmes aussi. Les travailleurs se sont emparés de cet outil pour construire de vraies organisations représentatives au cours de l’histoire industrielle de notre pays. Organisations qui ont été des acteurs structurant de notre démocratie.

L’institutionnalisation des syndicats, comme de toutes les organisations structurantes de la démocratie (Associations, Sécurité sociale, Paritarisme…), essentielle pour assurer leur développement, leur force, leur reconnaissance et leur pérennité, a également ses revers. Les revers sont tout ce que l’installation dans la durée génère comme organisation, comme structuration et comme habitude. Tout cela conduit à des « lourdeurs » qui peuvent donner le sentiment à de potentiels nouveaux entrants que ces organisations ne les représentent pas. Sentiments d’autant plus partagés dans une période où:

  • D’une part, l’organisation de l’économie marquée par la dispersion des emplois dans de multiples petites entités plutôt que dans des grosses entreprises qui ont vu leurs effectifs se réduire considérablement, rend difficile les conditions d’une organisation collective « traditionnelle ».
  • D’autre part, le syndicalisme, a du mal à être le lieu naturel d’une organisation collective territoriale sur des revendications communes à plusieurs professions ou catégories de citoyens.

Alors que tous les jours dans les entreprises plutôt grandes et moyennes, lors de création de sections syndicales, de renouvellement  de responsables ou de délégués…, des salariés font l’expérience, je dirais même leur expérience de ce que veut dire s’organiser collectivement, de nombreux autres travailleurs, chômeurs ou retraités n’ont pas la possibilité de faire cette expérience d’organisation collective dans le cadre d’organisations déjà existantes.

Dans un contexte où de nombreux citoyens se sont détournés de la politique, la difficulté des syndicats à être le vecteur par lequel les travailleurs dans la sphère professionnelle et plus largement les citoyens dans la sphère sociétale, s’organisent, a créé un grand vide.

Ce grand vide a été considéré depuis très longtemps comme le signe d’une société apaisée par de nombreux politiques et observateurs qui mettaient en avent la baisse de la conflictualité.

Le mouvement des Gilets jaune vient sonner le glas de cette analyse.

 De ce point de vue, le mouvement des gilets jaunes est intéressant pour deux raisons essentielles :

  • Il vient donner à voir que des espaces d’organisations collectives existent, sur des sujets de préoccupations communes, contrairement à tous les discours, confondant volonté de plus en plus forte des individus à être reconnu en tant qu’individu et individualisme.
  • Il est également un moment d’expérience d’organisation collective pour des gens qui la plupart ne l’ont jamais vécu. L’épisode de désignation de « délégués », de « porte-paroles » ou de « communicants » et les conflits que cela génère entre gilets jaunes, fait partie de cette expérience que tout militant syndical a connu.  

Cette expérience peut-elle être bénéfique pour la vitalité démocratique ?  Si rien n’est certain, rien n’est incertain car rien n’est écrit.

En tout état de cause ce mouvement est un signal pour nos démocraties et les organisations qui les structurent. On ne peut pas construire une société démocratique sans qu’une grande partie des citoyens soient associés à sa construction.

Si l’éducation, la formation, sont nécessaires à la transmission des valeurs qui ont permis de construire progressivement la démocratie et à la compréhension du sens qui ont donné naissance aux institutions qui la structure, ce n’est pas suffisant. L’expérience que chaque individu peut faire est indispensable à la prise de conscience de ce qu’est une organisation collective qui participe à la construction démocratique dont les institutions sont en permanence à faire évoluer.

Pour ma part, le positionnement de Laurent Berger et à travers lui celui de la CFDT, montre que ce mouvement a été compris par cette organisation. Ce positionnement est tout le contraire de ce que certain ont appelé une tentative de récupération. En mettant sur la table des propositions précises, il donne une perspective au mouvement (tout en en dénonçant les dérives)  qui, loin d’être un épiphénomène, doit être l’occasion de changer radicalement les façons de gouverner, les façons de faire société, bref l’occasion de renforcer la démocratie et son fonctionnement, mouvement dans lequel le syndicalisme doit avoir toute sa place.

Gaby BONNAND

Tag(s) : #Gilets jaunes, #Démocratie, #Syndicalisme
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