Plusieurs grands enseignements peuvent être tirés de cette journée de mobilisation, en dehors de quelques récupérations politiques de Mélenchon à Dupont Aignan en passant par Le Pen.
- Au-delà d'une bataille habituelle de chiffres, le nombre de manifestants était significatif et peut et doit être considéré comme l'expression d'une forte mobilisation.
- C'est essentiellement la catégorie sociale se situant autour du revenu médian et en dessous, actifs et retraités (1692€ en 2017) qui s'est mobilisée.
- C'est une mobilisation marquée par l'absence de forces organisées dans le déclenchement et l'organisation de celle-ci. Appel à la mobilisation qui réussit à rassembler beaucoup de monde, mais qui ne parvient pas à encadrer un mouvement pour assurer la sécurité des manifestants et des automobilistes (1 mort, 409 blessés dont 14 graves), ni à ce jour à générer des interlocuteurs.
- Ce sont des situations quotidiennes, vécues par les français, absentes le plus souvent de l'espace public, qui ont fait irruption dans cet espace de par la mobilisation d'une partie des personnes concernées elles-mêmes sans intermédiaires. Situations qui viennent montrer qu’il ne s’agit pas seulement de définir un cap, encore faut-il que le chemin pour y parvenir ne laisse pas sur le bord, une partie importante de la population.
Quelle analyse ?
La volonté de récupération de ce mécontentement par les extrémistes de tout bord de Mélenchon à Dupont-Aignan en passant par Le Pen, ne rend pas illégitimes pour autant les expressions d’individus qui s’organisent pour revendiquer.
Il est donc nécessaire de faire la différence entre les 2 Choses. De ce point de vue, reconnaissons à Edouard Philippe de ne pas être tombé dans le piège de la confusion dans son intervention de ce dimanche à France 2.
L’analyse rationnelle consistant à dire qu’avec un SMIC aujourd’hui, on fait plus de km que l’on en faisait en 1970 par la conjonction du coût du litre plus faible aujourd’hui qu’en 70 et d’une consommation moindre des voitures, il n’en reste pas moins vrai qu’en 50 ans, les cartes d’implantation des emplois et celles de la construction du logement ne sont pas développées de manière superposée. Dans une étude parue en Juin 2016, l’INSEE révélait que le nombre de personnes quittant quotidiennement leur commune pour aller travailler a augmenté de 6 points entre 1999 et 2013, témoignant, disait les auteurs de l’étude « une déconnexion croissante entre lieu de domicile et lieu de travail », et ajoutant que les communes les moins denses en population sont celles qui offrent le moins de transports collectifs. Les moyennes ne rendent jamais compte des situations réelles, et il y a de nombreux travailleurs se situant aux alentours du salaire médian et au-dessous qui, aujourd’hui ont un budget carburant élevé et plus élevé qu’hier pour aller au travail.
Le mouvement des « gilets jaunes » ne me semblent pas diriger contre la transition énergétique, mais plutôt comme l’expression d’une volonté de ne pas être pris au piège par une transition qui ne prend pas en compte les situations qu’ils vivent et qui parfois leur ont été imposées. Ils ont accepté la mobilité pour garder leur emploi ou en trouver un. Ils ont été obligés de quitter les grandes villes pour se loger moins chers. Aujourd’hui, ils se sentent pénalisés.
L’absence de forces organisées dans le déclenchement et le développement du mouvement, n’est pas forcément une situation inédite comme aime le répéter des médias qui et notamment ceux qui veulent dramatiser la situation pour leur besoins de scoop. Ces médias ont très souvent une mémoire courte, voire très courte. Les coordinations infirmières de la fin des années 80, le mouvement contre le Contrat de Première Embauche en 2006, sont nés en dehors de toutes organisations, (même si pour ce dernier on trouvera toujours des gens pour dire qu’il y avait des organisations de lycéens et étudiantes derrière. Elles sont venues après comme les organisations syndicales, d’ailleurs).
Ce n’est pas parce que ce n’est pas inédit que ça ne nécessite pas de s’interroger. Je vois 3 éléments clefs qui conduisent à cette situation :
- Les réseaux sociaux et la place qu’ils occupent aujourd’hui comme moyens de communication. Ce n’est pas la première fois qu’ils servent à fédérer des actions autour d’objectifs ou de thèmes. En Octobre dernier plusieurs milliers de personnes avaient défilées dans les rues de plusieurs grandes villes, contre le réchauffement climatique dans le cadre d’un appel lancé sur les réseaux sociaux, suite à la démission de Nicolas Hulot. C’est une réalité qui chamboule les fonctionnements habituels de nos démocraties. Pour autant, ça existe et c’est une opportunité pour renouveler nos formes de vie démocratique.
- Une envie d’être reconnu, d’être écouté, d’être considéré. Dans un monde dans lequel l’individu est de plus en plus appelé à prendre ses responsabilités, il devient insupportable de ressentir en retour un sentiment de mépris, voire d’arrogance de la part des ceux et de celles qui sont au pouvoir et qui en permanence rappellent à cette responsabilité individuelle.
- Un ras le bol qui a du mal à s’exprimer dans le cadre des organisations en place qui subissent une perte de confiance. Celle-ci est accentuée par le fait que ces organisations et notamment les syndicats ne semblent pas ou peu écouter par le pouvoir en place. De ce point de vue, la manière dont Macron à traiter les syndicats durant sa campagne et depuis qu’il est au pouvoir n’a fait que renforcer un doute sur l’efficacité des syndicats.
Une réponse incompréhensible de la part d’Edouard Philippe.
Les réponses ne sont pas simples, car plusieurs enjeux sont posés. D’où l’importance de faire le bon diagnostic ou du moins le plus complet pour pouvoir décider.
Il ne s’agit pas dans les réponses à apporter de mettre en opposition la transition écologique et la gestion au quotidien de cette transition qui se fera dans la durée.
Laurent Berger, Secrétaire Général de la CFDT à appeler Emmanuel Macron et Edouard Philippe à réunir très rapidement les syndicats, les organisations patronales, les associations pour construire un pacte social de la conversion écologique.
Edouard Philippe qui a évité le piège que lui tendaient les extrémistes de tous bords, est tombé dans un autre : En rejetant cette proposition au motif qu’il ne croyait pas « que c’est une grande conférence politique et syndicale que les gilets jaunes demandent », il met en opposition le court terme qui demande des mesures pour répondre aux demandes des manifestants et le long terme qui exige de garder le cap.
Par ailleurs, par ce refus, il renforce la logique gouvernementale de considérer que les corps intermédiaires ne servent à rien.
Edouard Philippe, ce soir s’est mis dans une impasse
Gaby BONNAND