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Le mouvement des gilets jaunes n’en finit pas de surprendre. Il ne suscite certes pas des mobilisations massives mais il dure et s’installe dans le paysage samedi après samedi, avec un soutien de la population qui s’atténue mais reste conséquent. L’inorganisation totale voulue ou pas au début du mouvement, laisse place peu à peu à un début d’organisation avec déclaration des manifestations et mise en place d’un service d’ordre.

L’étonnement que suscite ce mouvement est également dû aux cibles identifiées par les gilets jaunes : l’Etat, tant dans sa composante technico-administrative (les technocrates qui font la réglementation…) que dans sa composante politique (le Président de la République et l’ensemble des élus).

Au regard de la sensibilité forte du mouvement sur les questions de pouvoir d’achat et d’inégalités, il est étonnant qu’à aucun moment, apparaissent des revendications en direction des chefs d’entreprises. L’annonce, la semaine dernière, du record en 2018 de versement de dividendes par les entreprises françaises cotées, à leurs actionnaires, n’a suscité aucune réaction de la part des gilets jaunes.

On peut bien sûr interpréter cette orientation du mouvement en considérant que c’est bien la preuve que ce dernier est manipulé par les partis politiques qui n’ont jamais accepté la victoire de Macron ou plutôt leur défaite, à savoir la FI et le RN.

Je ne nie pas la présence de ces 2 Partis politiques, et je ne nie pas non plus leur influence sur le mouvement. Mais je ne fais pas mienne l’idée selon laquelle le mouvement se résumerait à une manipulation. C’est un malaise profond qui est exprimé et peut-être même révélé par ce mouvement. Et je veux exprimer dans ce papier ce que peut éventuellement signifier cette adresse exclusive à l’Etat.

Dans une période où les frontières entre le public et le privé tendent à se brouiller sous l’effet de causes multiples : ( Offensive ultralibérale contre les services publics depuis les révolutions conservatrices du début des années 80 aux Etats-Unis et au Royaume-Unis, législations européennes et nationales, Pénétration des entreprises privées dans des secteurs des services traditionnellement délivrés par des services publics, comme la santé, la protection sociale en général, l’aide à domicile,…), le mouvement semble faire une différence entre le public et le privé.

Derrière les attaques des élus qui ont pris des formes parfois inacceptables et condamnables, n’y a-t-il pas une sorte d’appel à une différenciation ? Bien sûr c’est perturbant d’entendre des attaques contre des élus ou des hauts fonctionnaires qui percevraient des indemnités pour les uns, et des traitements pour les autres beaucoup trop élevés et n’entendre aucune critique sur les rémunérations autrement plus élevées de certains patrons ou autres stars du show-biz ou du sport.

Sans tomber dans de la philosophie de comptoir, il y a un proverbe populaire qui dit « qui aime bien, châtie bien », n’y a-t-il pas dans ce mouvement et le soutien qu’il suscite, au-delà de la conscience que peuvent en avoir les gilets jaunes eux-mêmes, l’expression d’un attachement très fort des citoyens à l’Etat, à son rôle dans l’organisation de la vie en société et d’un attachement à une certaine éthique de la responsabilité publique ?

Il ne faut certes pas faire dire à un mouvement n’importe quoi. Mais un mouvement est toujours porteur de choses qui dépassent ceux qui en sont à l’initiative ou ceux qui y participent.

Partant de ce point de vue, je me risque à dire que même exprimée de manière très contestable, cette différence de traitement en direction des acteurs publics et des acteurs privés, le mouvement des gilets jaunes remet au centre du débat la place de l’Etat et donc la place du Politique.

L’offensive ultra libérale venue des Etats-Unis et du Royaume-Unis est bien sûr une des causes de cette banalisation. En ne considérant les services publics uniquement comme des coûts, elle a diffusée l’idée que pour amoindrir ceux-ci, il suffisait d’appliquer au secteur public, les méthodes de management comme les organisations du travail du secteur privé, avec son corollaire en termes de diminution d’effectifs et de rationalisation des taches.

Mais est-ce la seule cause de cette banalisation ? Pas certain.

Quand pour faire bouger la fonction publique, et cela est nécessaire, il est fait le choix de mettre des services en concurrence avec du privé, on contribue à banaliser la fonction publique, sans pour autant démontrer une réelle amélioration ses services rendus.

Quand nous appliquons à la fonction publique des critères de productivité de même nature que dans le privé, on introduit l’idée que tous les services publics se gèrent comme des entreprises privées, ne faisant d’ailleurs plus de différence entre un client, un usagers, un patients, un consommateur…

Quand nous considérons que le statut fonctionnaire se résume à un contrat de travail beaucoup plus protecteur que le contrat de travail d’un salarié du privé, on fait du fonctionnaire un privilégié et on en oublie le sens des missions de service public auxquelles sont astreints ces mêmes fonctionnaires.

Quand on veut gérer l’état comme une entreprise, on franchit un pas supplémentaire dans cette banalisation.

Puis un jour, de façon inattendue, sous un forme que certain d'entre nous n’auraient pas forcément choisie et qui échappent aux critères usuels d’analyse, avec des moyens d’action qui n’empruntent pas les codes habituels, une différence est faite entre public et privé, entre responsables politiques et responsables économiques ou direction d’entreprises.

Loin de moi l’idée de déduire de ces éléments que le Public c’est le bien et le privé c’est le mal. Je ne pense pas que ce soit le message qu’envoie le mouvement des gilets jaunes. Cependant, à travers leurs revendications visant essentiellement pour ne pas dire exclusivement l’Etat, les gilets jaunes différencient nettement le rôle de l’Etat, son rôle, sa place et ses devoirs et le secteur privé. En creux et peut-être à leur insu, ils réhabilitent, l’Etat duquel ils attendent autre chose que ce qu’il fait actuellement en matière de pouvoir d’achat et de lutte contre les inégalités.

On peut être en désaccord avec la manière dont cette réhabilitation se manifeste dans l’espace public et chacun peut en tirer les conclusions qu’ils souhaitent. Pour ma part, j’y vois une invitation à repenser fondamentalement la place de l’Etat, et approfondir les relations entre le privé et le public dans la protection des citoyens et la lutte contre les inégalités.

Voilà de quoi positiver ce mouvement qui finalement remet l’Etat et donc le politique, au centre d’un jeu totalement dominé par les intérêts économiques dans un monde où le social est considéré comme un sous-produit de l’économie. Ca ne peut pas être que mauvais, si on sait transformer l’essai.

Gaby BONNAND

Tag(s) : #gilets jaunes Etat Relation Public-Privé, #Gilets jaunes, #Etat
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