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Que ce soit le monde politique ou le monde journalistique, l'un et l'autre ont du mal à se défaire de grilles de lecture du passé, pour analyser l'action et le positionnement des différents acteurs de la société.
Samedi 9 mars, le journal  Le Monde titrait un article "Comment Laurent Berger est devenu le premier opposant à Emmanuel Macron?"

Cette analyse est pour le moins curieuse. Elle me semble être le résultat de l’utilisation d’une grille de lecture concernant la place et le rôle des différents acteurs de la société, héritée d’une conception très restrictive de la démocratie. Cette analyse curieuse n’est en fait pas étonnante. Elle m’apparaît comme une illustration de ce que Pierre Rosanvallon appelle « l’impensé démocratique[1] ». Revenant sur le Jacobinisme qui a structuré la vie et l’organisation politique de la France au moment de la révolution française, Pierre Rosanvallon souligne que ce jacobinisme a fortement été amendé au cours de l’histoire et notamment au cours de la 2° moitié du 20° siècle, avec notamment « la place institutionnelle » accordée aux corps intermédiaires, (ou l’institutionnalisation des corps intermédiaires).

Pourtant poursuit Pierre « la culture politique de la généralité est restée dans les têtes avec toutes les conséquences en terme de conception de la souveraineté ou de l’intérêt général. Les prétentions du monde politique à incarner seul l’intérêt social ont continué à peser [2]».

Que ce soit pour le monde politique ou le monde journalistique, se positionner sur le terrain de l’intérêt général ne peut concerner que les acteurs politiques au sens partisan du terme.

Le titre de l’article ne nous renvoie pas seulement à la conception journalistique d’un ou d’une journaliste, d’un journal ou de quelques journaux, mais beaucoup plus largement à une conception de la démocratie et de son fonctionnement partagée par un grand nombre d’acteurs.

En titrant ainsi son article, l’auteure exprime une conception du fonctionnement démocratique de notre pays qui correspond tout à fait à la conception développée par l’ensemble des responsables des différentes formations politiques : Celui qui se situe dans le champ de la vie en société est obligatoirement un acteur politique. Emmanuel Macron le développe depuis longtemps et bien avant qu’il ne soit élu Président de la République. Durant la campagne, Il a même conceptualisé cette approche en décrétant que les syndicats doivent être cantonnés à l’entreprise, le reste ne les concernant pas.

Mais cette conception n’est pas propre à Macron. La satisfaction exprimée par de nombreux leaders de la gauche émiettée, au sujet « du pacte social et écologique » élaboré par 19 organisations, se situe sur le même registre. Cette gauche incapable de se renouveler dans sa pensée et son action, voit dans ces propositions, moins une initiative de la société civile organisée contribuant à l'intérêt général, qu’un moyen à instrumentaliser au service de son opposition à Macron.

Tout cela est d’autant moins réjouissant que cette façon de voir les choses « assigne à résidence », le syndicalisme et plus généralement les organisations de la société civile. Cette façon de voir les choses enferme le syndicalisme dans une fonction revendicative protestataire uniquement. Venir sur le terrain des propositions, dépassant le cadre de l’entreprise, c’est devenir un acteur politique qui ne peut être que dans le camp des gouvernants ou dans celui des opposants.

Pour qui connait un peu l’histoire de la CFDT, cette vision des choses lui est totalement étrangère et en totale contradiction avec sa conception de la transformation sociale construite tout au long de son histoire.

C’est pour cela que pour ma part, le positionnement de son Secrétaire Général n’est pas une position d’opposant au Président de la République, mais celui d’un syndicaliste porteur de la démarche de transformation sociale de son organisation.

Cette incompréhension de la place du syndicalisme comme contributeur à la construction de l’intérêt général génère un conflit de légitimité entre les acteurs de la démocratie politique et ceux de la démocratie sociale qui n’a aucun sens. 

Si entretenir un conflit de légitimité n’a aucun sens, par contre approfondir les conditions de la démocratie, les rapports entre le politique et le social, les formes de leur confrontation,  ... est nécessaire et indispensable. Et ce travail concerne aussi le syndicalisme.

Il faut sans doute pour cela dépasser, ou plutôt amender les concepts trop réducteurs de « démocratie politique » versus « démocratie sociale » ou « gouvernement » versus « corps intermédiaires ».

Ces concepts doivent être dépassés, non pas pour les renier, mais pour les amender.  Dans un contexte caractérisé par un champ politique en ruine et une faiblesse du syndicalisme, ces concepts ne permettent pas aujourd’hui de repenser concrètement les rapports du politique et du social, sauf à vouloir nourrir qu’une vie institutionnelle qui risque rapidement au demeurant de tourner à vide si ce n’est déjà le cas.

Amender ces concepts c’est entre autre, s’emparer de questions touchant

- à la participation réelle des individus aux transformations de leurs conditions et situations,

- aux formes que peuvent revêtir les représentations de populations empêchées de se projeter dans les modes actuelles de représentation pour cause de mobilité sociale, professionnelle, géographique, caractérisant leur parcours,

- aux relations entre l'action quotidienne pour améliorer les conditions et les situations de travail et de vie et l'action plus structurelle pour inscrire ces transformations dans la durée.

-...

Gaby BONNAND

 

[1] Pierre Rosanvallon : Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours 

[2] Ibid

Tag(s) : #Macron, #Berger, #Politique, #Démocratie sociale
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