22 Avril 2019
Au-delà de l’incendie de Notre Dame de Paris, cet événement et tout ce qui se passe depuis cette catastrophe mélange à la fois le grandiose et le grotesque, le fondamental et l’éphémère, la gratuité et l’exhibition, le majestueux et le vil, l’émotion et la raison, l’art et le people, l’histoire et l’anecdote, le religieux et le profane…
A lui seul cet événement joue comme un révélateur. Révélateur de très nombreux paradoxes que l’émotion ne peut ni supprimer ni empêcher leur dévoilement. Révélateur de la contradiction entre la complexité d’une société et le simplisme des discours qui accompagne cet événement.
Si l’émotion est un sentiment qui caractérise l’humain des autres espèces, une utilisation trop forte de celle-ci à des fins politiques, partisanes ou religieuses est dangereuse, car elle peut réanimer des rancœurs, rouvrir des blessures, donner le sentiment qu’il y a une hiérarchie « d’Etat » dans les émotions.
S’il est nécessaire de ne pas banaliser un tel événement pour, à cette occasion nous redire collectivement que l’histoire de notre pays ne commence pas avec nous, que nous appartenons à une histoire complexe, à une civilisation, je ne peux m’empêcher de penser à tous ceux et toutes celles qui n’ont pas forcément eu la chance de découvrir et d’apprendre à aimer la richesse de cette histoire, du fait d’une scolarité « ratée » ou trop courte ou d’un environnement qui ne les a pas conduit à cette découverte.
Notre République, son système éducatif ne permet pas à toutes et tous de découvrir cette histoire, histoire des hommes et des femmes qui nous ont précédé, histoire des religions, histoire de l’art, histoire des idées, histoire qui ne fut ni un long fleuve tranquille, ni une histoire simplifiée à l’extrême, comme semble la décrire l’expression « Nous sommes un peuple de bâtisseurs ».
Il est facile pour ceux et celles qui ont eu cette chance d’accéder à cette connaissance qui leur parait naturelle de se situer en « sachant » parfois méprisant à l’encontre de ceux et celles qui n’ont pas eu la chance à cette connaissance qui fait aimer le beau, l’art, l’histoire, bref notre pays.
Alors que j’ai été saisi et emporté par la simplicité et la vérité du langage de l’historien Adrien Goetz, du comédien Sylvain Tesson ou l’écrivain François Cheng[1], invitant les téléspectateurs à un véritable voyage entre passé, présent et perspective, j’ai ressenti de la suffisance voire de l’arrogance dans la plupart des discours et positionnement de la sphère politique et médiatique.
Ce n’est pas du dénigrement systématique, mais encore une fois la parole politique, noyée dans un mélange d’émotion qui aplanit tout (« Des riches comme des moins riches ont donné de l’argent. Au fond, chacun a donné ce qu’il a pu, chacun à sa place, chacun dans son rôle,…») et de business qui exige de respecter les échéances (« Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici 5 années[2] »), n’arrive pas à se mettre à hauteur d’hommes et de femmes pour les faire pénétrer dans la complexité de notre histoire.
De cette catastrophe de Notre Dame de Paris peut éventuellement jaillir du renouveau. Je dis bien peut-être et je vois déjà des prémices dans la nouvelle image que semble avoir les métiers manuels.
Alors que la voie la plus utilisée pour accéder aux métiers manuels est aujourd’hui la voie de l’échec scolaire, voilà que depuis 4 jours, les reportages sur les métiers manuels du bois et de la maçonnerie envahissent les écrans. On semble découvrir que le monde n’est pas que virtuel, qu’il y a dans les cathédrales des charpentes faites de bois, des murs fait de pierres, une toiture faite de tuile de plomb,… Parlant de ces jeunes qui apprennent ces métiers, on parle d’élites. Parlant des ouvriers on rappelle que le mot ouvrier vient de « œuvre », faisant ainsi des passerelles entre travail de l’ouvrier et art. Et puis cette passerelle extraordinaire entre le réel et le virtuel par ce magnifique travail de numérisation qui a été entrepris et dont les images virtuelles en 3D qui en sortent, vont servir à la rénovation qui sera bien réelle.
Puisse cette valorisation subite de métiers manuels, qui vient réconcilier l’ancien et le nouveau, le présent et l’histoire, le manuel et l’intellectuel, le travail et l’art, le réel et le virtuel, ne soit ni éphémère comme les émotions, ni sélective comme le business.
Gaby BONNAND
[1] Lors de l’émission spéciale Notre dame de Paris de la « Grande librairie »,
[2] Dans 5 ans, en 2022, auront lieu les jeux olympiques à Paris