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J’ai lu avec attention la tribune[1] d’Hervé Chapron et Michel Monier, (cadre et ancien  cadre de "l’Assurance Chômage ») dans les échos de ce jour, qui a pour titre « Les trois défaites des partenaires sociaux ». Je trouve cet article très surprenant à la fois par sa violence à l’encontre des partenaires sociaux et par une simplification outrancière de notre système de protection sociale qui voudrait le résumer à un système bismarckien.

Afin qu’il n’y ai aucune ambigüité, je tiens à préciser qui si je conteste la réforme de l’Assurance chômage proposée par le gouvernement, je diverge radicalement sur les raisons. Premièrement, avant d’être une atteinte grave au paritarisme ou plus largement à la démocratie sociale, cette réforme est une atteinte très grave aux droits de plusieurs milliers de chômeurs. Les auteurs semblent être au contraire uniquement sur une défense institutionnelle ce qui n’a rien à voir.

Pas un mot en effet dans cette tribune sur la situation des demandeurs d’emploi, sur les conséquences de la réformes sur eux. Pas un mot non plus sur la situation insatisfaisante d’une assurance chômage qui ne couvre qu’un peu plus de 50% des demandeurs d’emploi. Pourtant, il me semble que l’analyse sur la performance ou non des partenaires sociaux, dans leur rôle de négociateurs d’accords et de gestionnaires d’organismes paritaires doit se faire à l’aune de la situation des personnes concernées (salariés, chômeurs, retraités) dans une réalité donnée.

Savoir qui, entre la gestion paritaire et la gestion étatique est plus performante sans mettre ces formes de gestion en regard de la situation des individus, me semble totalement dépourvu  d’intérêt.

Cette tribune fait état de 3 défaites des partenaires sociaux.

Selon les auteurs la première défaite serait celle de la communication en direction de l’opinion. Les partenaires sociaux n’auraient menés aucune bataille sur les raisons du déficit. Je partage avec les auteurs, les 3 causes essentielles du déficit (régime des intermittents, contribution à pôle emploi et conventions internationales). Par contre je ne partage pas du tout cette critique consistant à accuser les partenaires sociaux d’incapacité « d’action fortement didactique envers non seulement ceux et celles qu’ils gèrent au titre de l’indemnisation, mais de l’ensemble de la population active salariée du privé. Les partenaires sociaux sont restés silencieux ». J’avoue que je ne comprends pas très bien. Bien sûr les partenaires sociaux ne sont pas exempts de reproches, mais ils ne sont pas comme le laissent penser les auteurs, un ensemble homogène. Ils semblent ignorer que sous ce mot valise de « partenaires sociaux », très commode à utiliser par ceux qui veulent se satisfaire d’analyse simpliste, ce sont d’abord des acteurs patronaux et acteurs syndicaux aux intérêts divergents, auxquels, la puissance publique a délégué une responsabilité de négociation en vue de dégager des compromis, et notamment dans le domaine du chômage. Ignorer cette idée de base de la démocratie sociale est tout de même curieux.

Par ailleurs du côté patronal comme du côté syndical, les auteurs ne peuvent ignorer les différences d’approches entre les organisations. Jeter l’anathème sur les partenaires sociaux de manière générale en disant qu’ils ont perdu la bataille de la communication parce qu’ils ne l’ont pas mené, est pour le moins cavalier. Cette assertion ignore les batailles qui se sont menées, peut-être pas de manière commune, et on peut le regretter, mais par un certain nombre d’organisations. Il suffit d’aller sur les sites des organisations syndicales de salariés, par exemple, pour se rendre compte que leur affirmation est totalement infondée.

La deuxième défaite pour les partenaires sociaux tiendrait à leur incapacité à se battre pour le maintien d’un système de sécurité sociale financé par les seules cotisations, laissant sans rien dire (voire en acceptant) l’Etat reprendre les choses en main. Cette attaque de l’Etat prendrait naissance, selon les auteurs avec la création de la CSG par Michel Rocard. Avec cette mesure, disent-ils « il assommait de facto Bismarck et son système de financement de la Protection sociale fondé exclusivement sur des cotisations "travail" ». Et de poursuivre « Le ver était dans le fruit. Sans réaction des partenaires sociaux dont cette deuxième gauche se nourrissait… ».

S’en est suivi le plan Juppé de 1995 qui retirait aux partenaires sociaux « tous pouvoirs décisionnels au sein de l’Assurance maladie ». Et puis il y a eu le PARE, considéré par les auteurs comme « le cheval de Troie qui les amènera à un premier sabordage avec la création de Pôle emploi ».

Curieuse analyse là encore. Pour argumenter les auteurs font appels à des éléments de différente nature.

Tout d’abord la CSG serait selon les auteurs, une sorte d’artifice. Je m’inscris en faux contre cette vision des choses.  La CSG n’est pas un artifice. Elle est au contraire la création d’une contribution affectée à la sécurité sociale pour prendre en compte son élargissement, depuis 45, à des prestations autres que des pertes de revenus. A titre d’exemple, je mentionnerais que jusque dans les années 50, les prestations de l’assurance maladie étaient majoritairement des prestations liées à la perte de revenu en cas de maladie (Indemnités journalières). Aujourd’hui, Les Indemnités journalières représentent 6 à 7% des dépenses de l’assurance maladie. Plus de 90% sont des dépenses liées au remboursement de soins sans condition de revenu. Il est légitime que ce financement repose sur l’ensemble des revenus. C’est la poursuite de la vocation universelle qu’ont donné ses fondateurs à la sécurité sociale.

Le plan Juppé ensuite qui est selon les auteurs une étape de plus dans la rupture avec le programme du CNR qui semble être leur référence. S’il y a rupture avec la logique qui a présidé à la création de la Sécurité sociale, ce n’est certainement pas le plan Juppé, mais les ordonnances de 1967, qui ont importé le paritarisme à la sécurité sociale. Paritarisme qui n’existait pas à l’origine car pour les fondateurs la sécu devait être gérée par les usagers eux-mêmes, via leur représentant qu’étaient les organisations syndicales, avec certes une représentation patronale, mais  comme observateur seulement.

La PARE enfin, cheval de Troie pour « saborder » le système d’assurance chômage. Les auteurs défenseurs de l’institution sans rapport avec les situations des chômeurs, oublient que dans une situation de chômage de masse, l’accompagnement vers l’emploi, et notamment pour les plus éloignés de celui-ci, est une nécessité. Obtenir le droit à l’accompagnement a été une bataille de plusieurs organisations syndicales. Ce droit a été créé par la négociation assurance chômage en 2000 et repris dans la convention de 2001. Ce droit est capital et pas seulement une question institutionnelle qui « mixte les missions des ASSEDIC et de l’ANPE », comme l’écrivent les auteurs. C’est un droit essentiel qui dépasse de loin les batailles de chapelles.

La troisième défaite serait  « leur incapacité à se projeter dans un monde mouvant qu’ils subissent en partie de ce fait. Celle de leur incapacité à se réinventer par une force de proposition incontournable ». Au-delà des mots qui donnent à la phrase, un sens difficile à saisir, il est étonnant que les auteurs qui reprochent aux partenaires sociaux de ne pas tenir compte « du monde mouvant qu’ils subissent », semblent totalement ignorer (au moins dans cette tribune) le monde des chômeurs  dont près de la moitié ne sont pas indemnisés par l’UNEDIC. Ils ne parlent pas dans cette tribune des  effets catastrophiques de la réforme sur les travailleurs précaires, sur les personnes à temps partiel et notamment les femmes.

Uniquement concentrés sur les conséquences institutionnelles de la réforme, les auteurs de la tribune, contrairement à ce qu’ils pensent probablement, donnent des biens beaux arguments à ceux qui pensent que finalement la réforme n’est qu’une bagarre de chapelles.

On aurait pu s’attendre à mieux de la part de personnalités qui ont fait toute ou partie de leur carrière dans des institutions paritaires. Dommage

Gaby BONNAND, ancien président de L’UNEDIC

 

Tag(s) : #Assurance chômage, #Pritarisme, #Unedic
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