SOMMAIRE
Le Débat : Tribune de Philippe Pinglin, Président d'un SSIAD (Services de Soins Infirmiers A Domicile)
Référence de lecture : Articles et Livre
Billet

Roux de Bézieux, provocation et indécence.
Peut-être pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le choix a été fait de préserver la vie humaine au détriment de la vie économique. En adoptant des mesures de confinement, la plupart des pays ont mis à l’arrêt leurs économies. Si il y a de nombreuses situations très préoccupantes parce que le confinement renforce les inégalités de conditions et de situation,Pour nous européens et notamment, nous les classes moyennes de ces pays, ce choix n’a pas d’incidences économiques encore très fortes sur notre quotidien. Le confinement n’empêche pas les retraités de toucher leur retraites. Les mesures prises pour étendre et faciliter le chômage partiel, permettent à de nombreuses familles de bénéficier d’un revenu. L’assurance maladie a décidé de prendre à sa charge les pertes de revenus pour les parents contraints de garder leurs enfants à la maison. Nous pouvons, dans la plupart des cas, continuer à nous faire soigner et être remboursés de nos médicaments. Les différentes allocations continuent d’être versées. Comme le disait Ester Duflo sur France Inter le 31 Mars, dans les pays européens, les citoyens ont des réserves du fait des systèmes sociaux qui permettent d’assurer le versement de prestations, la mise en œuvre de dispositifs d’accompagnement. L’occasion pour rappeler à tous les commentateurs qui pérorent sur les plateaux de télé en dénonçant le manque de masques, de respirateurs... assénaient avec autant de certitudes, hier encore que les systèmes de protection sociale étaient des charges trop lourdes, que l'Hôpital était un mastodonte qu'il fallait dégraisser.
Alors, dans le temps présent, ce choix de la vie humaine plutôt que de l’économie est, pour la plupart d’entre nous, normal et aucun autre ne nous semble être possible. Au cours de ce même entretien à France Inter, Ester Duflo nous parle des pays les plus pauvres. Prenant l’exemple de l’Inde, elle nous dit que le confinement là-bas rend impossible les conditions d’une vie normale. Par le confinement les gens sont privés de tout, donc des possibilités de vivre, nous renvoyant ainsi, à des situations vécues ici, en France, par tous ceux et toutes celles dont le confinement est impossible ou presque (SDF, migrants…).
Mais en mettant à l’arrêt notre économie, les mesures de confinements montrent que le choix entre priorité à la vie humaine plutôt qu’à l’économie, est loin d’être une équation facile.
Premièrement comme nous venons de le voir, nous ne sommes pas égaux devant le confinement, entre individus d’abord d’un même pays. Si le chômage partiel est une bonne chose, il ne couvre pas la totalité de la perte de revenus. Des travailleurs comme les livreurs à vélo ou de nombreux autoentrepreneurs ne bénéficient d’aucune protection. Nous ne sommes pas égaux entre pays et entre individus de différents pays soumis au même confinement, à tel point que l'arrêt de toutes activités économique formelles ou informelles est synonyme de mort rapide.
Deuxièmement, le confinement révèle l’interdépendance des économies avec des chaines de productions éclatées dans différents pays qui exposent les uns et les autres à des dépendances économiques importantes. Par exemple 90% de la pénicilline est fabriquée en Chine. Faut-il rappeler notre dépendance de la Chine pour les masques ?
Enfin, cet éclatement des chaines de production se traduit également par un éclatement des chaines de valeurs spécialisant les pays dans des taches à valeurs ajoutées plus ou moins hautes, impactant différemment les pays selon leur spécialité. Par exemple, L’Espagne, l’Italie et la France qui constituent les toutes premières destinations touristiques sont beaucoup plus impactées par la fermeture des frontières que d’autres.
En ouvrant la question du déconfinement, le premier Ministre a ouvert un débat qui va bien au-delà de la question de la reprise économique. Le débat sur la sortie du confinement est aussi un débat sur le développement économique social et environnemental. S’agit-il de considérer cette période comme une parenthèse et redémarrer comme avant, en attendant la prochaine crise beaucoup plus grave, ou faut-il dès aujourd’hui créer les conditions d’un changement du modèle économique ? Un consensus se dégage pour dire que cette crise est aussi une crise de la mondialisation ou de la globalisation comme le reconnait Dominique Strauss Kahn, lui-même « la division internationale du travail qui est en cause aujourd’hui. La critique n’est pas nouvelle et la crise sanitaire agit surtout comme un révélateur. Les détracteurs ont été nombreux… Tous avaient partiellement raison et il est fort probable que la crise conduise à des formes de relocalisation de la production, régionales sinon nationales[1] ».
Bien au-delà des relocalisations, une prise de conscience émerge également sur la hiérarchie des métiers, comme le soulignait Dominique Méda récemment dans un entretien[2]. Entre les métiers, « dépourvus d’utilité immédiate » dont les mises en arrêt ne portent pas de préjudices vitaux au citoyens (lesquels sont souvent les plus rémunérateurs) et les métiers vitaux comme ceux du soin, des services à domicile, des services de nettoyage, de la poste de l’électricité, les métiers de la chaine alimentaire et de la distribution, des transports, (qui sont les métiers les moins rémunérateurs), nous redécouvrons dit-elle « l’utilité immense de métiers invisibles, de personnes peu considérées et le plus souvent très mal payées » et un inversement des hiérarchies des métiers, du monde d’avant la crise sanitaire.
Ces prises de conscience ne génèreront pas spontanément des changements. Ce ne sont pas des changements qui se feront à coup de baguette magique. Ça sera long. Mais tout de même. Entendre, dans ce contexte, le patron des patrons Roux de Bézieux appeler les entrepreneurs à relancer la machine économique[3] car « L’important, c’est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d’effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020 … », ajoutant que « C’est la création de richesses qui permettra d’augmenter l’assiette des impôts et donc les recettes, et ainsi de rembourser la dette accumulée pendant la crise … l’urgence c’est de revenir à une activité économique normale… Tout le reste doit attendre », montre à l’évidence que l’arrogance et la certitude d’avoir toujours raison, aveugle et grippe toute agilité d’esprit et esprit d’initiative.
Pas un mot sur le type de développement économique, pas un mot sur le contenu de la croissance bien sûr, pas un mot sur l’importance de repenser un développement capable de penser les métiers et les emplois selon leur utilité sociale et environnementale. Dans quel monde vit Roux de Bézieux. De quel monde rêve-t-il ? Lorsqu’il lance cet appel à la reprise économique de la manière dont il le fait dans le Figaro, il ne s’adresse pas simplement aux entreprises qu’il représente, mais aux gouvernants, convaincu qu’il doit être que « le gouvernement des hommes doit être substitué par l’administration des choses ». Effectivement dans ce monde il est certainement difficile de comprendre le véritable traumatisme que vivent les citoyens aujourd’hui, qui ne sont finalement que des choses.
Je crois avoir montré trop rapidement, certes, que l’équation priorité à la vie humaine versus priorité économique, n’est pas une équation aussi simple que l’énoncé voudrait le laisser penser.
Pour autant, poser la question comme la pose Geoffroy Roux de Bézieux ressemble à une provocation. Ce qui est une honte au regard la gravité de la situation. Alors que la pandémie rebat toutes les cartes du développement, de la croissance et de son contenu, le patron du MEDEF semble s’être endormi durant un mois sans prendre la mesure de ce que nous vivons.
Bien sûr que nous devons travailler à la reprise de l’économie. Il semble d’ailleurs que des entreprises n’aient pas attendu l’appel du patron des patrons, pour reprendre la production en réorientant celle-dans la fabrication de produits dont la France manque le plus en ce moment, c’est-à-dire des masques, des respirateurs… Des PME se sont aussi organiser autrement pour pouvoir rester présentes dans les chaines d’alimentations qui permettent aux citoyens d’accéder encore à des biens utiles en cette période, sans attendre les appels du patron des patrons.
Dans cette période où les différents acteurs de la société sont invités à faire preuve de modestie, de créativité et de coopération pour trouver des réponses pour le jour d’après, Geoffroy Roux de Bézieux propose, lui de revenir à l’état d’avant, sans rien changer. Provocateur et indécent
Gaby Bonnand
Débat à partir des articles publiés
Exception à la règle. Cette rubrique ne reprendra pas des expressions suite à un papier du blog. Je publie aujourd'hui un papier de Philippe Pinglin, Président d'un SSIAD (Services de Soins Infirmiers A Domicile)qui nous livre, à partit d'un vécu, quelques réflexions utiles sur le système de santé, son organisation. Il est tout à fait en cohérence avec le thème du billet de ce jour en soulignant la place importante de professions "invisibles", en temps ordinaires, dans cette période de lutte contre le covid19,

CORONAVIRUS : EN SORTIR PLUS FORTS, PLUS SOLIDAIRES, PLUS APAISÉS.
Saurons-nous, collectivement, tirer les enseignements de la crise sanitaire que nous traversons et prendre les décisions pour que nos sociétés s’engagent résolument vers plus de justice sociale, de dialogue et vers une intégration européenne plus forte et plus solidaire ? Rien n’est moins sûr !
Qu’on se souvienne, 2008 et la crise économique, 2015 et les attentats terroristes. Nous étions tous Charlie, tous pour la suppression des paradis fiscaux et une régulation du système bancaire, et tous pour une consommation responsable.
Des questions de même nature se posent aujourd’hui. Or, pour les aborder et tenter d’apporter des solutions durables, nous sommes plus que jamais devant une nécessité : celle de nous engager afin de nous donner une chance d’avancer vers plus de solidarité et de justice sociale.
Nous vivons une situation inédite, qui touche l’ensemble de notre humanité, de la même façon, au même moment. Cela doit nous amener nécessairement à renforcer nos solidarités et nos coopérations, mais aussi, à nous sentir responsables d’améliorer nos systèmes, sans rechercher passivement des boucs-émissaires.
Notre système de santé est en constante évolution, notamment pour prendre en compte la volonté de plus en plus affirmée de nos concitoyens de vivre chez eux le plus longtemps possible. Schématiquement, cela se traduit par 4 grands acteurs du parcours de soins : la médecine de ville, les services de soins à domicile, les établissements hospitaliers et les EHPAD.
Chacun de ces acteurs de santé est indispensable et complémentaire des autres. Or, la coordination entre ces acteurs n’est pas suffisante, faute de moyens et d’une pratique de travail en commun. Cette coordination, si elle devenait la règle, représenterait une avancée considérable, rendant le parcours de soins plus efficace et moins anxiogène, notamment pour les patients âgés.
Parmi le manque de moyens, il y a bien sûr celui des personnels soignants. En prenant la situation dans les Services de Soins Infirmiers À Domicile (SSIAD), comme le CAP’Santé[1], le moindre aléa, ordinaire à la vie d’une communauté de travail (arrêts de travail, démissions…), appelle à réaménager régulièrement l’organisation du travail des soignants. Or, la tension sur le marché du travail est trop forte pour faire face sereinement à la mobilité importante que l’on constate, notamment au niveau des aides-soignants(es).
La dureté de leur travail, la précarité salariale et le manque de perspectives professionnelles, nous obligent à revaloriser cette profession. À la fois pour les aides-soignants(es) eux-mêmes, pour qu’ils construisent leur parcours professionnel, et pour les patients, qui voient en eux, la part d’humanité et de dignité que notre système de soins peut leur apporter.
La crise actuelle met en évidence un risque : celui d’une reconnaissance et d’une considération à deux vitesses des personnels soignants. D’un côté, les personnels soignants des établissements hospitaliers qui sauvent des vies, qui sont débordés aux urgences comme dans les services, et de l’autre "les petites mains" du soin à domicile et des EHPAD.
Nous voyons que ce risque est réel quand les ARS[2] réquisitionnent la réserve des soignants des SSIAD pour les envoyer dans les hôpitaux ,
Philippe Pinglin Président du SSIAD CAP’Santé. Syndicaliste CFDT Auteur de "Le Pari de la Liberté".
Référence de lectures

ARTICLES
Dans un "Point de vue" à Ouest France du 13 Avril, Le Mouvement Universel de Responsabilité Scientifique (MURS), auquel appartient Jean JOUZEL, se penche sur l’éthique et la responsabilité scientifiques en temps de crise sanitaire. Très utile réflexion sur les rapport de la science, du politique et de la démocratie.: https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/point-de-vue-ethique-et-responsabilite-scientifiques-en-temps-de-crise-sanitaire-6806985
Dans une chronique au monde du 13-14 Avril Thomas Piketty revient sur l'urgence d'une fiscalité plus juste pour lutter contre le covid19: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/thomas-piketty-l-urgence-absolue-est-de-prendre-la-mesure-de-la-crise-en-cours-et-de-tout-faire-pour-eviter-le-pire_6036282_3232.html
Sur son site, magnifique chronique de Bernard Guetta, le 30 Mars: https://www.bernard-guetta.eu/2020/03/30/jai-du-manquer-un-episode/
PROPOSITION DE LIVRE
Réinventer le progrès, aux édition "les petits matins"
Pour travailler un sujet qui ne semble pas intéresser Geoffroy de Bézieux, je vous conseille un petit livre qui planche sur ce que signifie le progrès aujourd'hui. Interviewer par Philippe Frémeaux, d'alternatives économiques, Laurent Berger, Secrétaire Général de la CFDT et Pascal Canfin, Directeur à l'époque de WWF France. Ce livre écrit en 2016 est d'une brulante actualité.