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État et marché, contre la société civile : La perte d’autonomie en exemple.

Dans un article précédent en date du 16 juin 2020, j'expliquais pourquoi le titre de 5° risque n'était pas le bon pour nommer le projet que le gouvernement met en débat concernant la prise en charge de la perte d'autonomie. Je n'ai rien à rajouter à ce que je disais en juin et je vous y renvoie[1]
Je voudrais revenir dans cet article sur le débat autour du financement qui est, je pense révélateur d'une très forte compatibilité entre une conception étatique de la protection sociale qui a de plus en plus le vent en poupe et l'élargissement de la sphère du marché de moins en moins régulé.
En effet pendant que Emmanuel Macron et son gouvernement s'opposent à une contribution du revenu des hauts patrimoines au financement partiel de ce risque, les assureurs, eux développent une ingéniosité extraordinaire pour inciter les détenteurs de patrimoine à placer les revenus de ceux-ci dans des produits dont l'objectif est de financer la perte d'autonomie des souscripteurs.
D'un côté, la contribution des hauts patrimoines au financement d'un risque pour lequel la solidarité est essentielle est considérée comme une mesure pouvant faire fuir ces détenteurs de patrimoines et pire freiner la venue dans notre pays d'investisseurs utiles à l'économie, d'un autre, les assureurs, voient d'un très bon œil cette "matière assurable" échappée à une contribution généralisée d'intérêt général, pour l'attirer dans leur giron pour le plus grand bien de leurs actionnaires.

Ils nous vendent même la vielle recette que l'on a entendue depuis des années concernant les fonds de pensions. Les entreprises françaises n'arrivent pas à se faire financer par les français car ils ont refusé les fonds de pension préférant les régimes par répartition. La création d'une assurance dépendance par le biais d'outils permettant de capter les revenus du patrimoine permettrait ainsi de pallier au refus de la France et des français d'avoir créé des fonds de pension pour leur retraite.

On peut très bien comprendre qu'il n'y ai pas un enthousiasme débordant de la part de ceux qui ont un patrimoine important, pour payer une contribution à l'Etat centralisateur, plus souvent assimilé à une bureaucratie tatillonne qu'à un vecteur favorisant la gestion du bien commun. Il faut dire que souvent l'Etat lui-même, bien aidé par une vision politique réductrice du bien commun, fait tout pour donner cette image.

Mais cette vision réductrice de l'Etat n'épuise pas le sujet de la place de la solidarité et de ses différents acteurs dans la gestion du bien commun.

En d'autres temps, il s'est trouvé des hommes et des femmes très ingénieux pour relever ce défi. Par exemple, lors de la création de la Sécu, à laquelle le gouvernement fait référence en parlant de 5° risque, ses créateurs et notamment Pierre Laroque connaissant la capacité de l'Etat à se transformer en une bureaucratie, ont inventé un modèle de gestion pour assurer la gestion de ce bien commun qu'ils venaient de créer, qui s'est traduit par un mode de gouvernance déléguée aux représentants des usagers de la Sécu.

La manière de concevoir l'Etat, uniquement de façon centralisée, avec une action homogène sur l'ensemble du territoire, et ceci dans tous les domaines ne peut que conduire à une action bureaucratique dont on aurait aucun mal à illustrer par des faits précis, surtout en cette période de gestion d'épidémie du Covid.

Il serait injuste de dire que cette vision n'est que le seul fait du pouvoir en place. Non cette vision est le point commun de presque toutes les forces politiques du pays.

Au-delà des mots, les forces politiques développant une vision plus décentralisée, plus coopérative entre puissance publique et société civile organisée, sont rares.

Depuis le travail de sape de Mitterrand et de la vieille gauche de ce que l'on a appelé le « rocardisme », la réflexion et l'action de la gauche pour développer une autre approche de l'action publique et de la gestion du bien commun, s'est asséchée où enfermée dans des colloques ou débats de salons entre gens pensant la même chose.

Bref, tout cela pour dire que cette vision de la puissance publique et de la gestion du bien commun, réduite à une action régalienne de l'Etat ouvre des espaces importants au marché. Ce qui est en train de se dégager dans le débat public au sujet de la prise en charge de la perte d’autonomie est très révélateur de cette réalité.

Il ne s'agit pas de dire que le marché n'a pas de place à prendre. Il est utile et indispensable ; Il est même un vecteur essentiel de la démocratie.  Mais celui-ci doit être régulé. 

C'est justement sur cette question de la régulation que la vision d'une action publique et de gestion du bien commun  réduit à sa stricte action régaliennes est incapable  de créer les conditions d'une action pour que la gestion du bien commun associe les acteurs de la société civile à cette gestion.

De ce point de vue, si je comprends l'intérêt des assureurs privés à but lucratif de voir dans la prise en charge de la dépendance un moyen pour capter à leur profit de la matière assurable au détriment d'un gestion plus solidaire de ces ressources, j’ai du mal à m’expliquer la position de la mutualité Française.

Plutôt que de s'allier avec les assureurs pour défendre une assurance complémentaire dans le domaine de la perte d'autonomie, qui renforce le gouvernement dans sa position intransigeante de ne pas toucher aux revenus des hauts patrimoines et ouvre les portes aux assureurs pour capter cette manne, le mouvement Mutualiste aurait été bien avisé de définir lui-même sa spécificité dans ce domaine. Surtout que pour le faire, il peut s’appuyer sur des expériences et des actions très concrètes qui touchent à cette perte d’autonomie dans lesquelles les mutualistes sont très présents et très spécifiques et pas uniquement comme des assureurs.

Faire valoir cette spécificité, à partir de la pratique, c’est travailler à la création d’espace pour construire intelligemment des réponses. Encore faut-il que le Mutualisme s’extraie du carcan dans lequel on veut l'enfermer, celui d'un simple assureur.

Le débat n’est pas terminé. Souhaitons que le mouvement mutualiste ne se laisse pas emprisonné dans son accord avec les assureurs, pour construire avec d’autres des réponses solidaires à la question de la perte d’autonomie.

Gaby Bonnand

 

[1]Ouvertures.over-blog.com le 16 Juin 2020 «  La perte d’autonomie, un risque à prendre en charge sans se payer de mots »

Tag(s) : #Protection sociale, #Perte d'autonomie, #dépendance
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