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Derrière le débat qui s'installe dans le pays, dans cette période préélectorale, sur la sécurité sociale et le lien entre régime générale et régimes complémentaires, est révélateur d’un débat plus fondamental, qui est celui d’un débat sur la démocratie.

La démocratie ne renvoie pas à une seule conception. Et depuis la révolution française au moins, plusieurs traditions portant des conceptions différentes de la démocratie nourrissent les débats politiques et sociaux dans le champ républicain.

Ce papier a pour objet de proposer mon éclairage en essayant de donner à voir comment les différentes approches de la protection sociale  et des liens entre régime général et régimes complémentaires, qui se font jour dans les débats actuels, renvoient à ces différentes traditions portant des conceptions différentes de la démocratie.

Et parce qu'elles renvoient à différentes conceptions de la démocratie, dont aucune ne peut avoir la prétention d’être la bonne ou la seule (ce serait contraire à l’idée même de démocratie que d’avoir cette prétention), elles méritent débats et controverses publiques.

La première approche que je voudrais développer c’est celle de la « Grande Sécu ». Cette approche considère que la complexité d’un système de protection sociale auquel nous sommes arrivés, avec sur les mêmes champs 2 acteurs du remboursement, est source d’inefficience. Inefficience pour le patient dans son parcours de soins. Inefficience pour le système lui-même par l’activité administrative et technocratique générée, inefficience pour les finances publiques. Au-delà des aspects purement techniques et financières, cette approche repose également et surtout sur l’idée que c’est  à l’État  qu’il revient d’organiser la solidarité entre les citoyens. Il ne s’agit pas dans cette approche de réduire la protection sociale solidaire. Mais il s’agit de faire de l’État le seul acteur légitime à organiser cette solidarité entre citoyens.

Il me semble que cette approche de la protection sociale renvoie à l’idée d’une démocratie reposant si non exclusivement mais principalement, dans son fonctionnement, sur l’élection qui légitime les acteurs politiques en charge de mettre en œuvre dans le cadre de la constitution, les conditions du « Vivre ensemble » et de la solidarité qui est un des socles fondamental de cette approche de la démocratie. Cette tradition républicaine et démocratique s’inscrit dans le droit fil d’un courant de la gauche française considérant que l’État seul est garant de l’intérêt général. Les corps intermédiaires, défendant des intérêts privés et catégoriels.

La deuxième approche que je voudrais développer, c’est celle non pas de la « Grande Sécu », mais celle de « l’assureur unique ». Si l’analyse de la protection sociale par les tenants de cette approche conclue également à une grande complexité qui rend le système inopérant, illisible, coûteux et donc insatisfaisant pour les patients et pour le pays, les réponses proposées sont différentes de la première approche. Il s’agit dans cette tradition de consacrer les dépenses publiques à un socle de protections minimales, et de déréglementer les espaces laissés au marché. Dans cette approche, il s’agit de mettre l’accent sur la liberté individuelle et son corollaire la responsabilité individuelle, pour traiter des protections sociales pour restreindre très fortement la dépense publique.

Il me semble que cette 2° approche de la protection sociale renvoie à la tradition libérale de la démocratie qui fait de la liberté individuelle, la pierre angulaire. Dans cette approche, l’attachement à la liberté individuelle va de pair avec l’insistance sur la responsabilité individuelle. Ainsi, avec ces 2 valeurs, la priorité va être donnée à la logique assurantielle pour traiter les questions de sécurité, au contraire d’une logique de solidarité qui permet comme le dit collette Bec d’articuler deux valeurs (la liberté et la sécurité) « posées jusque-là par la doctrine libérale comme antinomiques» [1].
Une partie de la droite républicaine française, est porteuse de ce courant qui œuvre pour faire de la protection sociale publique, un socle minimum, laissant le marché intervenir sur le reste 

La troisième approche est à la fois proche et différente de la première. C’est celle qui veut intégrer dans la mise en œuvre d’une protection sociale protectrice, solidaire, émancipatrice et levier d’une démocratie vivante, la société civile organisée. Avec la première, cette approche partage l’idée que la Sécurité Sociale, la protection sociale « déborde la seule sécurité des revenus, la protection sociale au sens étroit de prise en charge par la société des risques de maladie, des accidents du travail et de la retraite »[2], elle est constitutive d’une organisation de la solidarité et espace de responsabilité citoyenne. Elle vient « enrichir la démocratie politique en l’adossant à une démocratie économique et sociale[3]».

Mais cette approche se différencie de la première sur le rôle de l’État de de la société civile. Dans cette approche, l’État n’est pas le seul légitime à organiser la solidarité. L’intérêt général n’est pas une donnée définie une fois pour toute pour lequel l’État en serait le garant. L’intérêt général est un construit social, auquel prend part la société civile organisée, dans le cadre d’espaces de négociations permettant de définir celui-ci à un moment donné et dans le cadre d’espaces de citoyenneté producteurs d’initiatives contribuant à élaborer des réponses solidaires aux besoins des populations.

L’idée d’une démocratie dans la construction de laquelle la société civile,  les corps intermédiaires ne sont pas considérés comme de simples organisations corporatistes mais comme des acteurs à part entière de la démocratie, est une tradition de la gauche française portée par un courant que l’on a « appelé 2° gauche ».

Je me reconnais dans cette troisième approche qui considère que la solidarité nationale n'est pas exclusive. "Elle admet en son sein l’expression de solidarités plus étroites, qu’en termes généraux on peut qualifier de solidarités civiles, c’est-à-dire des solidarités qui reposent sur une base volontaire et ne relèvent donc ni de l’État, ni du marché [4] ». C’est donc dans ce cadre que doivent être envisagées les articulations entre l’action de la puissance publique et l’action d’autres acteurs comme les mutuelles, acteur et espace de solidarités civiles.

Pour autant je considère que dans une démocratie adulte, la confrontation entre ces différentes approches devrait être au cœur d’une campagne présidentielle.

Ce débat, cette confrontation est d’autant plus importante qu’au fond, quand on regarde l’histoire de la Sécurité Sociale, le compromis s’est qui s’est progressivement imposé après la guerre, a emprunté à ces 3 approches.

La caractéristique de ce compromis, issu d’une situation contrastée auxquelles les promoteurs de la Sécurité sociale ont dû faire face devant l’opposition totale ou les désaccords profonds de plusieurs forces sociales  à l’idée d’un régime universel, est qu’il a été peu pensé en amont et peu conceptualisé en aval, donnant un champ d’interprétations très large sur la création de la Sécu, et nourrissant beaucoup de mythes et fantasmes.   

Alors que nous sommes arrivés à un moment où notre pacte social est questionné de toute part, le débat sur la protection sociale risque d’être escamoté.

Escamoté car je ne vois pas beaucoup de partis politiques, porteurs des 3 courants républicains qui ont structuré et structurent encore pour partie notre démocratie, s’emparer de cette question de la protection sociale. Ce ne sont pas ces partis qui ont imposé les thèmes des débats dans l’espace public, c’est Zemmour. Et bien évidemment, ces thèmes ne portent pas vraiment sur ce sujet qui est pourtant central pour la consolidation de notre République et de notre Démocratie.

Escamoté par la pratique du pouvoir actuel qui, soucieux de faire du débat présidentiel, un affrontement entre Emmanuel Macron et l’extrême droite, va tout faire pour que ce débat n’est pas lieu.

La manière choisie pour le faire va probablement consister à « vendre » à l’opinion publique, l’idée d’une « grandes sécu », empruntée à une des traditions de gauche, pour en fait arriver à la mise en place d’un « assureur unique » public au panier minimal, laissant une place au marché délivré des contraintes réglementaires de régulation, emprunté à la droite libérale.

Le « en même temps » sur cette question risque de porter un coup très dur à l’idée d’une démocratie faisant une place importante à la société civile.

Mais le pire n’est jamais certain. La campagne ne fait que commencer.

Gaby Bonnand

 

[1] Colette Bec La sécurité sociale pour une société solidaire, dans Vie sociale 2015/2 (n° 10)

[2] Ibid

[3] Ibid

[4] La Solidarité, enquête sur un principe juridique. Ed Odile Jacob p.16.

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