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En écho à la tribune de Nicolas Da Silva dans Alternative Économique du 28 Octobre 2022[1], sur la place des complémentaires dans l'organisation d'une protection solidaire en France, voici quelques réflexions pour alimenter le débat.

Les perspectives décrites par la mise en place d'une grande sécu, sont loin d'être aussi belles que l'auteur ne le prétend, comme le rappelle Timothée Duverger dans une tribune à Alter-éco du 7 Novembre 2022[2]

Avant de revenir, dans cet article, sur la nécessité de transformer plus à fond les mutuelles pour rester un acteur indispensable à une protection sociale solidaire, je relèverais quelques questions que me suggère la tribune de Nicolas Da Silva .

I- questions relatives à la tribune

I-1 La Protection Sociale ne se limite ni à des questions assurantielles, ni à des questions techniques.

La Sécurité Sociale, c'est avant tout un projet dont l'objet est bien-sûr la couverture sociale des populations, mais surtout le support  comme le disait Robert Castel, pour que l’individu soit pleinement citoyen. En ce sens la Protection Sociale ne se limite pas à une question d'assurance. Son organisation est au cœur des questions démocratiques. De cela aucune évocation dans la tribune qui en oublie que la place des mutuelles est inscrite dans les ordonnances portant création de la Sécurité Sociale. Cette tribune est un texte essentiellement technique et principalement axé sur le coût de la protection sociale et son financement

I-2 l'usager est considéré par l'auteur comme un simple consommateur.

La place de l'usager, comme acteur du système de protection sociale, dans la définition de ses objectifs et son organisation, est un principe fondateur de la Sécu.

Pour des raisons multiples et des causes diverses, le système créé en 45, qui donnait la gestion aux assurés eux-mêmes, a largement été amendé depuis 1945.

Ces évolutions qui ont accompagné l'universalisation de la Sécurité Sociale, ont eu pour effet d'éloigner les usagers de la définition des objectifs et des décisions en matière d'organisation,  de financement...

Aujourd'hui, la gestion du pôle public de la protection sociale en matière de maladie, est quasi étatique, faute d'avoir  su collectivement, durant ces dernières années,  (Partis politiques  syndicats, associations d'usagers, Haute fonction publique...) trouver les chemins permettant de rester fidèle au principe de départ quant à la place des usagers.

I-3 La contrainte budgétaire comme boussole pour décisions

Avec un financement reposant essentiellement sur la fiscalité (CSG et exos), le financement de l'assurance maladie est totalement à la main du gouvernement et du parlement par la définition annuelle de l'ONDAM. Le risque d’arbitrage en fonction des contraintes budgétaires au détriment des besoins, est inscrit dans l’organisation du système.

Ainsi la réduction inévitable du socle public, en matière de périmètre, va augmenter la part des complémentaires. Mais contrairement à aujourd'hui cet espace sera non régulé et totalement laissé à la libre concurrence, creusant les inégalités.

L'exemple du royaume uni est là pour nous montrer ce qu'il en est.

IILes enjeux pour le mutualisme

Si les mutuelles et dans son ensemble, le mouvement mutualiste, ne sont pas des acteurs qui contribuent par leurs actions et ce qu'elles proposent, à refaire de la Protection Sociale, en partenariat ou en association avec le socle public, un ciment de notre vivre ensemble et un vecteur de démocratie sociale, leur utilité sociale est contestable.

Dans sa tribune, Nicolas Da Silva nous propose un assureur public unique. pour le reste le marché (sans régulation de l’État) devra s'en occuper. Cette approche est révélatrice de la prégnance des questions budgétaires et financières dans le débat public sur la Sécurité Sociale et plus largement sur la Protection Sociale. Non pas que ces questions soient secondaires.  Mais aujourd'hui,  elles sont l'alfa et l'oméga au point d'avoir fait de la démocratie sociale dans ce domaine un non sujet.

II-1 Les mutuelles et le mouvement mutualiste ont une place à prendre pour refaire de ces questions, des enjeux du débat public.

Elles en ont les atouts.

De nombreuses mutuelles, même en grossissant, ont réussi à garder un réseau de citoyens, militants, mutualistes, bénévoles, qui donne de la légitimité à ces dernières, dans un débat sur la démocratie sociale dans la Protection Sociale, tant sur les questions de prévention, de garanties ou d'offres de soins

Par leur caractéristique affinitaire, certaines d'entre-elles sont en capacité d'organiser des solidarités professionnelles en prolongeant la solidarité nationale offerte par le pôle public,

Par leur caractère interprofessionnel, d'autres sont en capacité d'organiser des solidarités territoriales qui viennent là encore prolonger la solidarité nationale.

Par la place qu'elles occupent sur le territoire, pour répondre à la demande des salariés et des entreprises, concernant l'obligation de couverture, elles ont la capacité d'organiser des solidarités à la fois professionnelles et territoriales, venant la encore  compléter la solidarité nationale.

II-2 Les mutuelles doivent progresser dans plusieurs domaines.

Dans l'organisation interne

Sur les questions de rémunérations de dirigeants, des organisations du travail et du management, elles doivent davantage se différencier des entreprises privées capitalistiques.

En matière de rémunération des dirigeants, la référence devrait être la haute fonction publique plutôt que les assureurs privés. (La haute fonction publique recrute. Il n'y a pas de raisons que les mutuelles ne recrutent pas au niveau proposé)

En matière de management, sans tomber dans le doux rêve d'un monde apaisé, l'accompagnement à créer de la solidarité professionnelle, sectorielle ou territoriale, devait être un objectif pris en compte dans la rémunération variable au même titre que le développement en nombre de contrats.

En matière de gouvernance, la volonté exprimée d'une plus grande implication des délégués, doit davantage se traduire par des procédures concrètes qui engagent managers et délégués  dans les relations avec les adhérents.

Dans l'organisation de la démocratie

Il ne suffit pas de dire que les mutuelles sont des espaces de démocratie, faut-il encore faire vivre ceux-ci.

De ce point de vue les mutuelles contractantes de contrats collectifs ont un gros défi à relever, celui du lien avec les salariés des contrats collectifs. La question de l'intermédiation de l'entreprise, est importante puisque c'est à ce niveau que se situe la négociation ou la DUE. Mais elle ne doit en aucun cas devenir un frein au lien que la mutuelle doit avoir avec, à la fois les salariés individuellement et le collectif des salariés couvert par l'accord ou la DUE.

Si le rôle des mutuelles doit être développé en direction des entreprises elles-mêmes pour les accompagner dans leur devoir de garantir l'intégrité physique et psychique de leurs salariés, en aucun cas un représentant de l'entreprise ne peut représenter, dans les instances, l'usager final qui est le salarié.

Les défis sont nombreux et les mutuelles ne possèdent que peu de temps pour les relever.

Certaines mutuelles ou groupes de mutuelles se sont données une "raison d'être". D'autres sont allées plus loin en devenant "entreprises à mission". 

Ces décisions sont importantes et sont l'expression d'une volonté d’être un acteur de la solidarité nationale. Cependant ces décisions doivent se concrétiser de manière visible et rapide pour l'usager et plus largement par l'opinion. 

Faute de cette visibilité, ces décisions très médiatisées pourraient devenir des armes à l'encontre des mutuelles.

Gaby Bonnand

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