Dans une période de forte croissance des inégalités et/ou de leur creusement, il est assez normal que la lutte contre ces inégalités soit un objectif de toutes les forces progressistes et humanistes, qu’elles soient politiques, syndicales ou associatives.
Cet objectif de lutte contre les inégalités, se traduit souvent de la part de ces forces sociales, par la revendication d’ un partage plus juste des richesses .
Si je suis d’accord avec cette revendication, il me semble qu’elle est insuffisante si nous voulons remettre l’économie à sa place, c’est-à-dire au service du bien être des hommes et des femmes et de leur capacité à vivre ensemble.
En effet, revendiquer le partage plus juste des richesses ne dit rien sur les conditions de la création de cette richesse. Or nous savons, et la crise du COVID nous l’a rappelé, que ce sont les conditions de la création de la richesse qui dégradent l’environnement.
Nous savons également que les conditions de la création de la richesse ont également de graves impacts sur la santé des travailleurs et des travailleuses.
Nous savons aussi que les conditions de la création de la richesse peuvent également dégrader la qualité des services ou des produits. Les articles de journalistes ou des livres se sont suffisamment fait l’écho de scandales en documentant cette réalité.
Voilà pourquoi il me semble que revendiquer un partage plus juste des richesses sans agir sur les conditions de la création de cette richesse, ne peut pas nous permettre de sortir des impasses dans lesquelles notre type de développement nous entraîne.
Le débat public sur cette question tourne très vite, jusqu'à la caricature, autour de croissance ou décroissance ou de la compatibilité entre développement économique, social et écologique.
Ce débat ignore totalement le pourquoi des choses. Or quel rôle de l'économie si elle n'est pas au service de notre vie en société. Toutes les questions économiques et donc celles sur les inégalités doivent tout d'abord être resituées dans une perspective du bien être des hommes, des femmes, de leur capacité à faire société, dans la perspective en définitive du bien-être de l’humanité.
Articuler action sur les conditions de la production de richesse et partage plus juste des richesses, ne serait-ce pas la meilleure façon de replacer l’économie à sa vraie place
- Agir sur les conditions de la création de richesse, c’est agir sur les conditions de travail de ceux et celles qui le réalise, sur leur santé, sur leur bien-être.
- Agir sur les conditions de la production de richesse, c'est agir sur la qualité des services et des produits fabriqués, en prenant en compte le bien-être de l’usager final.
- Agir sur les conditions de la création de richesse c’est agir sur l’environnement, sur les conditions qui permettent le bien-être (logement, transport, urbanisme, aménagement du territoire …).
- Agir sur les conditions de la production, C’est dépasser la simple préoccupation de l’humain, pour prendre en compte le Vivant. C’est prendre en compte la richesse existante ou qui se crée et qui ne se mesure pas en points de PIB (biodiversité, liens sociaux…)
Cette approche peut apparaître théorique. Et pourtant elle est bien concrète.
Pour s’en convaincre, il suffit de passer au crible de cette grille les dossiers d’actualité dans notre pays.
En matière de retraite par exemple, dans les raisons qui sous-tendent l’objectif de travailler plus longtemps, on cherche en vain la préoccupation sur les conditions de la création de richesse: Les facteurs de pénibilités sont mal pris en compte et les questions environnementales absentes, la place des seniors dans l’emploi est à peine abordé (au-delà des mots), et la place des retraites dans la cité, comme essentielle à la vie en société aujourd’hui, est tout simplement ignorée.
En matière de chômage, il est difficile de voir dans les mesures prises, une quelconque préoccupation du bien-être des individus. Il s’agit plutôt de faire reposer les causes du chômage sur les chômeurs eux-mêmes, pour préserver un type de développement dont la recherche de croissance est totalement déconnectée de la perspective du bien-être.
Éloi Laurent, invité de Politique dimanche 8 Janvier 2023, nous ouvre à une autre approche de l’économie, pour la ré-encastrer au service du bien-être des individus et mais aussi du bien être global.
Pour cela il me semble important de déconstruire l’idée que l’économie serait une science exacte incontestable qui se présenterait au fond, comme la voie de la raison contre ceux et celles qui ne seraient que des ignorants et des gens peu courageux. Son livre « La raison économique et ses monstres[1] » est un bon guide pour cette déconstruction.
Gaby Bonnand
[1] Eloi Laurent : « La raison économique et ses monstres » Les liens qui libèrent Mars 2022