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18 Février 2017
Je voudrais préciser que pour moi, le débat ne se limite pas à un débat juridique. Dans une démocratie, le droit n’est pas figé. Par ailleurs, il ne clôt pas les débats politiques et heureusement. Nous pourrions prendre de nombreux exemples qui donnent à voir que ce qui peut être considéré comme un délit à un moment donné et donc passible de sanctions, peut évoluer. Il en est ainsi de l’homosexualité qui était un délit jusqu’en 1982. Le combats pour l’égalité et les droits de l’Homme ont fait évoluer le droit. Le 27 Juillet 1982, l’assemblée nationale abrogeait l’article du code pénal qui considérait l’homosexualité comme un délit.
Nous pourrions également prendre des exemples qui montrent que des actes non considérées comme délits par le droit à une période donnée, le sont devenus sous la pression de forces démocratiques de la société civile, mais aussi de la jurisprudence et in fine, reprise par le législateur. Il en est ainsi du viol qui est devenu un crime puni d’une peine d’emprisonnement que depuis 1980.
Tout cela pour dire que le débat juridique ne clôt pas le débat politique. Et j’éprouve dans la période, une certaine fierté, de voir un candidat à la fonction suprême de notre pays s’exprimer comme il l’a fait en Algérie.
Il y a quelques mois Pierre Joxe dans une interview à Bondy Blog[1] nous rappelait que « quand l’histoire pèse tellement sur le présent, il vaut mieux la connaître pour juger ce qui se passe ». Il parlait de la période coloniale de la France et de son impact sur le présent. « En France, notre héritage colonial est patent dans le traitement des populations les plus pauvres par les autorités. Notamment dans la gestion politique de la délinquance, comme je peux l’observer comme avocat des mineurs ».
Pour moi Pierre Joxe est, sur cette question, une référence. Il a combattu contre la politique coloniale, « dès l’âge de 15 ans » nous dit-il dans l’interview. « Nous n’étions pas plus moraux ni plus intelligents que d’autres. Nous étions simplement des enfants qui avaient vécu la guerre, l’Occupation, la Libération, la restauration de la démocratie et qui ne supportaient pas que leur propre pays devienne le nazi des Malgaches ou l’occupant des Algériens ».
De nouveau, début Juillet, Pierre Joxe revient sur cette période et ses horreurs, dans l’hommage[2] qu’il rend à Michel Rocard, au moment de sa disparition, en évoquant un rapport que ce dernier avait rédigé, en 1960, à la demande de Delouvrier, délégué du gouvernement à Alger – « Un rapport impitoyable sur les « camps » dits « de regroupement » que les « pouvoirs spéciaux » de l’époque avaient permis à l’Armée française, hélas, de multiplier à travers l’Algérie, conduisant à la famine plus d’un million de paysans et à la mort des centaines d’enfants chaque jour… ».
Alors, le procès fait à Macron, par la droite et l’extrême-droite sur ses propos tenus en Algérie, pour avoir utilisé le terme « Crime contre l’Humanité » est leur façon de refuser de regarder en face, l’histoire, notre histoire . Ils focalisent le débat sur le juridique, alors que la question est évidemment politique, sociale, sociétale, avant d’être juridique. En effet comme le rappelle Sylvie Thénault[3], dans le Monde du 16 février, « la définition du « crime contre l’humanité » est telle qu’elle ne peut pas s’appliquer à la colonisation ». Pour autant, ajoute-t-elle, « l’approche juridique n’épuise donc pas la question ».
Un autre historien, Benjamin Stora, rappelle dans libération du 17 Février que Michel Rocard, lui-même parle de « crime contre l’Humanité », au moment de la sortie de son rapport en 1960.
Regarder notre histoire en face, assumer la responsabilité qui est celle d’un pays qui a été colonisateur, ce n’est pas appeler le peuple à se sentir coupable, ce que voudraient nous faire croire l’extrême droite et un certain nombre de ténors de la droite. Non Il ne s’agit pas de repentance, il ne s’agit pas de se promouvoir procureur contre qui que ce soit. Mais comme le rappelle encore Pierre Joxe « Ne pas se souvenir de ce cruel passé colonialiste et raciste, c’est s’interdire de préparer un avenir de liberté et d’égalité ».
Ce regard lucide, cette reconnaissance de ce qui fut « historiquement, l’appropriation illégitime, par la force, d’un territoire et de ses habitants [4]» est important pour les hommes et les femmes qui ont été victimes de la colonisation, de leurs descendants. C’est important aussi pour tous ceux que l’Etat français a envoyé dans les colonies se battre, et qui vivent depuis rongés par les sentiments contradictoires de culpabilité, de haines et d’abandon
Dans une période où l’extrême droite et la droite, rivalisant pour inviter les français au replis, au rejet de l’autre pour mieux se protéger, n’hésitent pas à réécrire l’histoire, notre histoires, il est indispensable que des voix s’élève pour dire autre chose, pour mieux affronter le présent et construire un avenir autre que celui de la barbarie.
Pour conclure je renvoie à au livre« Politique de l’inimité ». Ecris par un chercheur d’une université d’Afrique du sud Achille MBEMBE, aux éditions « la découverte », il est pour moi, comme je le disais dans un post[5] une référence dans la lutte contre l’ignorance, terreau de tous les extrémismes.
Gaby Bonnand
[2] Pierre Joxe Médiapart 7 Juillet 2016
[3] Sylvie Thénault Directrice de recherche au CNRS et historienne
[4] Sylvie Thénault le Monde 16 février
[5] http://ouvertures.over-blog.com/2016/10/pour-ne-pas-nous-mentir-sur-notre-histoire.htm