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Réponse à Didier Tabuteau et Martin Hirsch sur l'Assurance Maladie Universelle

Didier Tabuteau et Martin Hirsch proposent dans le monde du 14 Janvier 2017[1], une assurance Maladie véritablement universelle dont l’ensemble des dépenses de santé incluant celles prise en charge par les complémentaires, relèverait de sa responsabilité.

Leur contribution en 3 points -Diagnostic, Pronostic, Traitement- mérite d’être discutée

Le Diagnostic

Je le partage largement. Les inégalités sociales en termes d’espérance de vie comme celles concernant l’accès à l’offre de soins suivant les territoires sont incontestables. Le fait que notre système soit essentiellement tourné et organisé autour du curatif est tout aussi incontestable.

Par contre je trouve très faible le diagnostic sur l’organisation du système en général. Le diagnostic ne dit rien sur :

  • Les failles dans la permanence des soins comme dans l’organisation de la médecine de ville, avec des incidences majeures sur l’accompagnement des patients dans leur parcours de soins ;
  • Les faiblesses énormes dans les pratiques coopératives entre professionnels de santé en ville, même si les Maisons de Santé pluridisciplinaires ont tendance à progresser dans leur nombre, mais concerne moins de 10 % des pratiques de la médecine de premier recours ;
  • La relative illisibilité de la politique du médicament, que celle-ci concerne l’autorisation de mise sur le marché, l’élaboration des prix ou les relations entre les laboratoires et l’offre de soins ;
  • La faiblesse des dispositifs d’information concernant l’offre hospitalière publique et privée à but lucratif, notamment en termes d’obligation exigées de ces dernières ;
  • L’extrême faiblesse des politiques de prévention développées par la Sécurité sociale aujourd’hui dont le budget consacre à peine 4% des dépenses à ces politiques.

Il me semble que nous pourrions ajouter beaucoup d’autres éléments qui caractérisent l’inorganisation de notre système de santé.

Le Pronostic :

Je partage tout à fait l’idée selon laquelle un système de santé doit évoluer pour « rester performant et égalitaire ». De ce point de vue le pronostic me semble identifier de manière pertinente les défis à relever au regard des évolutions à l’œuvre, pour maintenir un système performant et égalitaire.

Le développement des maladies chroniques et notamment le développement de plusieurs affections chroniques chez un même patient est une question majeure qui nécessite de profondes adaptations tant dans les pratiques médicales, que dans l’organisation de l’offre de soins et le suivi des malades.

Le vieillissement de la population est une des sources du développement des pathologies lourdes mais les besoins générés par le vieillissement ne se résument pas aux questions de maladies chroniques.

Les défis de la prévention sont majeurs. Les risques environnementaux bien sûr, mais également la prévention des risques professionnels que les auteurs n’identifient pas. Pourtant, le nombre de salariés exposés à des facteurs pouvant altérer la santé, n’a pas baissé depuis 1983

Notre système est bien évidemment confronté aux progrès technologiques qui vont révolutionner les pratiques médicales, les relations soignant/soignés, praticiens/usagers et d’accompagnement des patients. Mais les métiers d’intermédiations très présents chez les acteurs du remboursement de base ou complémentaire, vont être très fortement impactés également.

Tout cela fait naître « des menaces d’accentuation des inégalités sociales et territoriales », comme le notent très bien les auteurs.

D’où l’importance que le système se réforme pour gérer de façon efficiente les tensions entre les réalités épidémiologiques et technologiques, les contraintes financières, les aspirations des professionnels de santé et les attentes et besoins des patients.

Le pronostic est lucide, réaliste, cohérent.

Le traitement proposé par les auteurs.

Pour ces derniers la colonne vertébrale du traitement repose sur la rationalisation du financement, en créant une assurance maladie universelle par l’extension de « l’assurance-maladie à l’ensemble des dépenses de santé, en incluant dans la Sécurité Sociale, la couverture complémentaire, aujourd’hui essentiellement assurée par les mutuelles et les assurances ».

Pour les auteurs, l’existence des mutuelles et plus largement des organismes complémentaires, avec une intervention sur 14% des dépenses qui coûtent 19% de frais de gestion, alors que la sécu en couvre 77%, avec 4% seulement de frais de gestion, rend le système complexe , coûteux et inique.

S’il me semble tout à fait pertinent de s’interroger sur la cohérence du système, sur son coût et sur son équité, il me semble que la simplification outrancière des propositions ne permet pas de répondre aux défis tels qu’ils ressortent du diagnostic et du pronostic posés par les auteurs.

Tout d’abord, précisons que jamais la sécurité sociale n’a couvert la totalité des dépenses de santé. Dès la création de la sécurité sociale, la possibilité de prendre en charge le ticket modérateur, a été donné aux mutuelles.

Parler de la complexité du système des complémentaires, de leur coût et des inégalités qu’elles peuvent engendrer, sans intégrer dans ce qui y contribue, un certain nombre de décisions relevant de la puissance publique nationale et européenne et des plus hautes juridictions de notre République, constitue un oubli dommageable pour envisager des réponses à donner.

Je noterais trois grands types de décisions qui ne valent pas exhaustivités, mais qui placent la puissance publique comme acteur principal de la situation présente.

  • L’introduction par les pouvoirs publics du secteur 2 (secteur à honoraires libres), en 1980.

Cette décision signe à l’époque, l’échec de la puissance publique à gérer la contradiction historique ancrée dans le cœur même de notre système de santé, entre la médecine libérale structurée autour de la liberté d’installation, de prescription et de tarification et la socialisation du financement permettant à tous d’avoir un égal accès aux soins.

L’ouverture de cette vanne va provoquer d’une part des pratiques de professionnels conduisant à mettre des individus en situation de non remboursement de frais de santé, et d’autre part des appétits d’assureurs privés en direction du marché de la santé.

Les mutuelles, organismes à but non lucratif, soucieuses de ne pas encourager les dépassements d’honoraires par une trop grande prise en charge de ces derniers, mais attentives à ne pas laisser les adhérents dans des situations difficiles d’accès aux soins, ont été les organismes qui ont maintenu autant que faire se peut, des mécanismes de solidarité dans un secteur de plus en plus dérèglementé et concurrentiel.

  • L’incapacité des pouvoirs publics français, et probablement le manque de combativité du mouvement mutualiste, à imposer la reconnaissance d’un statut de « société mutualiste européen »… et la banalisation des mutuelles et du « non lucratif » en général

Cette absence de vision politique a eu pour effet de ne pas défendre la spécificité mutualiste. Résultat, les règles applicables en termes de couverture du risque santé se sont progressivement alignées sur celles, régissant les assurances, banalisant l’intervention du secteur mutualiste sur le champ de la santé, considéré comme un marché comme les autres. Ce processus démarré durant les années 90 se concrétise notamment par la création en 2010 d’une seule autorité, l’ACPR[2], issue de la fusion des différentes autorités de contrôle propres aux différents acteurs : Mutuelles et Institutions de prévoyance, Assurances, Banque.

Ainsi tous les opérateurs quel que soit leur statut sont soumis aux mêmes règles sans distinction aucune de leur statut

  • Les décisions du Conseil Constitutionnel de Décembre 2013, consacre la liberté d’entreprendre. Cette dernière est, dans l’ordre hiérarchique, supérieure à la solidarité.

La décision du conseil de décembre 2013 est très claire. « Les dispositions de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale (NDLR article qui prévoit les clauses de désignations d’un organisme par accord de branche) portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques ».

Cette décision et celles qui s’en suivront consacrent la liberté d’entreprendre et la libre concurrence comme supérieures à la mutualisation des risques, donc à la solidarité en matière de santé.

Identifier la responsabilité de la puissance publique dans la situation d’aujourd’hui, ne signifie pas qu’elle est la seule responsable de la situation vécue. D’autre part, elle n’invalide pas toute recherche de solutions ou de perspectives, venant de sa part, pour améliorer une situation.

Ceci étant, proposer que la Sécurité Sociale prenne en charge l’ensemble des dépenses de santé, nécessite que les auteurs de la proposition nous disent comment ce qui a été impossible hier, sous tous les gouvernements, serait devenu possible, alors même que le déclenchement de la situation confuse que nous connaissons aujourd’hui, trouve son origine dans des décisions publiques. Je ne dis pas que c’est impossible. Je veux simplement savoir comment :

  • Comment fait-on pour remettre en cause le secteur 2 ? (jamais remis en cause depuis son installation même si le gouvernement Rocard avait tenté de la faire)
  • Comment lutter contre les dépassements d’honoraires ? Si de fait, la revalorisation des rémunérations des professionnels est un levier nécessaire, il est loin d’être suffisant, pour faire évoluer un corps médical encore très attaché à la médecine libérale, dont le paiement à l’acte est inhérent à celle-ci.
  • Comment ne pas créer un système qui de fait, serait uniquement piloter par les équilibres financiers ? La reprise par la Sécu de la prise en charge de toutes les dépenses de santé, n’enlèverait en rien au droit des assureurs, de prendre en charge des dépenses de santé non pris en charge par le système universel. Ou alors comment fait-on pour restreindre ce droit dans le cadre d’une économie ouverte et dont les règles régissant le secteur des assurances et des banques sont largement supra nationales ?

Bien sûr, nous ne devons pas nier que la mise en place de dispositifs, tel l’UNOCAM, les « contrats responsables » …, ne se soient pas révéler être de véritables instruments de régulation.

Nous ne pouvons pas nier non plus que la logique générée par les décisions successives du Conseil Constitutionnel, depuis l’adoption de la loi permettant la généralisation de la complémentaire santé pour les salariés, peut être porteuse de développement d’inégalités.

Il ne faut rien nier de tout cela. Pour autant, faut-il pour trouver des réponses afin de faire évoluer notre système de santé, ne prendre la question que du côté du financement indépendamment de l’organisation du système ? Je ne le pense pas. En effet, les évolutions épidémiologiques, technologiques, le vieillissement des populations, la nécessité de développer des politiques de prévention, conduisent d’une part à des changements forts dans l’approche de la santé, l’accompagnement des patients et des professionnels de santé. Dans cette logique, le développement de services permettant aux professionnels d’être accompagnés dans des pratiques beaucoup plus collaboratives entre eux et aux usagers et patients, dans leur parcours de santé, est capital.

Plutôt que de faire des propositions qui, même pour les auteurs, sont peu réalistes, et risquent d’engendrer des débats de postures inefficaces pour faire avancer la question, ne serait-il pas préférable de regarder comment faire évoluer le système en prenant appui sur différents acteurs.

De ce point de vue, il est regrettable que les auteurs ne fassent aucune différence entre les acteurs intervenant sur le champ de la complémentaire santé.

Les mutuelles, organisations à but non lucratif, ont une spécificité et une historicité dans le champ de la santé qui dépassent largement les métiers du remboursement. Elles sont des acteurs importants de l’offre de soins, de prévention, d’accompagnement qui participent largement à la lutte contre les inégalités, notamment dans le domaine des dépassements d’honoraires.

Les mutuelles n’ont jamais cherché à développer de la « matière assurable » en détricotant la Sécu.

Dans la période, les mutuelles constituent, avec leur réseaux, leurs savoir-faire, leur rayonnement, des atouts bien plus que des freins pour faire évoluer notre système vers d’avantage de prévention, d’accompagnement tout au long de la vie, les individus dans leur parcours de santé. Plutôt que de chercher à les supprimer, associons-les d’avantage pour conduire le changement, accompagner dans celui-ci, aussi bien les professionnels que les usagers et patients, pour améliorer tant la couverture que l’offre de service dans l’immense champ de la santé et du bien-être

Alors oui, pourquoi ne pas travailler à une différenciation que les pouvoirs publics ont largement contribué à éliminer, permettant de faire des mutuelles, non pas des organisations à supprimer, mais des leviers de transformation de notre système pour qu’il reste « performant et égalitaire »

Gaby BONNAND

 

[1] Tabuteau et Hirsch : « Créons une assurance-maladie universelle » le Monde le 14 Janvier 2017

[2] Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. Résultat d’une première fusion en 2003 des autorités de contrôle propre aux mutuelles et aux Institutions de prévoyance (non lucratif donc), la CCMIP, et aux assurances (Lucratif donc), la CCA, en une seule autorité, la CCAMIP (Commission de contrôle des mutuelles et des IP) devenu ACAM (Autorité de Contrôle des assurances et des mutuelles) en 2005. Puis d’une deuxième fusion entre les autorités d’agrément et de contrôle des secteurs de la banque et de l’assurance, C’est ainsi qu’est créer en 2010 l’ACPR qui est le résultat de la fusion entre l’ACAM, le CEA (comité des entreprises d’assurance)[2] et le CECEI (Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement)

 

 

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V
Merci pour cet article.
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L
Analyse très intéressante, comme souvent :-) Il faudrait prévoir un "bouton" de partage twitter !
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D
Merci pour cet éclairage.
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M
Merci Gaby. Ton point de vue est très clairement argumenté.
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