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11 Juin 2017
Muriel Penicaud, la ministre du travail a accordé un interview au journal "les échos" le 7 juin 2017[1] concernant les réformes envisagées par le gouvernement sur le code du travail et plus largement sur le travail.
Je trouve l'interview intéressant non pas par les informations que la Ministre donne sur le contenu des mesures, mais sur le sens qu'elle donne aux réformes envisagées.
Insistant sur la nature systémique de la réforme à venir, elle présente les 2 objectifs de cette dernière: "libérer les initiatives des entreprises et de protéger les salariés" et "développer le dialogue économique et social".
Bien sûr, les formules bien envoyées peuvent toujours cacher des mesures susceptibles de déséquilibrer les rapports sociaux au détriment des salariés. Mais moi je veux d’abord y voir l’expression d’une philosophie voulant allier « liberté et sécurité », « développement économique et développement social », « innovation, compétitivité et démocratie sociale ».
Et si, en présentant ces 2 objectifs comme le fil rouge de la réforme à venir, Muriel Pénicaud donnait un signe fort de sa volonté de rompre avec une conception des rapports sociaux et par conséquent une conception du dialogue social, hérité de la société industrielle ? Rapports sociaux qui ne correspondent plus à une ère marquée par la connaissance et le numérique dans tous les secteurs de l’économie.
La négociation s’est développée dans le cadre d’une opposition forte, entre les propriétaires et les dirigeants d’entreprises d’une part et les salariés d’autre part. Et cela dans un contexte d’une économie du rattrapage et de reconstruction dominée par l’industrie, dans les années d’après-guerre.
Le modèle industriel avait pour caractéristique un très grand séquençage du travail, rendant ce dernier peu valorisant et peu intéressant.
La société industrielle dans laquelle se sont développés les rapports au travail, les conflits entre employeurs et salariés et les relations sociales, a fortement été marquée par une organisation du travail très rationnelle et un travail divisé en taches avec le taylorisme, et par une articulation entre production de masse et consommation de masse avec le fordisme, qui a permis un fort développement économique et social.
De cette situation a émergé une organisation sociale où les uns et les autres se sont trouvés positionnés dans des rôles : Aux propriétaires et aux dirigeants d’entreprises, la définition de la stratégie, de l’organisation du travail…, aux salariés l’exécution de tâches pas toujours valorisantes.
Cette histoire a façonné l’histoire de notre droit social. Un compromis tacite se mit en place. Il se concrétisa par une certaine acceptation de ces rôles par les syndicats. Ces derniers, en contrepartie vont revendiquer et agir pour augmenter le pouvoir d’achat et améliorer les protections des salariés, par l’action syndicale ponctuée de lutte et d’actions de grèves très dures parfois. Protections qui vont devenir autant d’acquis sociaux importants par leur contenu mais aussi par l’image véhiculée de leur obtention.
Dans un contexte de développement économique et social porteur de croissance, marqué par de durs conflits, les employeurs s’accommoderont très bien d’une situation qui leur assure au final, un pouvoir total sur la stratégie des entreprises.
Ce système et les symboles qu’il véhicule ont profondément structuré notre modèle social mais aussi le modèle de pensée de la négociation collective et de sa place dans la hiérarchie des normes.
En effet un accord d’entreprise peut être valable à condition que son contenu soit supérieur à celui de la loi ou de la branche. Dans des négociations où les termes de l’échange ne se mesurent qu’en contreparties quantitatives (primes, congés, salaires…), il est facile d’identifier ce qui est « plus avantageux ». Il en va tout autrement lorsque des éléments qualitatifs arrivent dans le débat.
Ce modèle de la négociation qui fonctionnait dans le cadre d’un relatif consensus, est déstabilisé depuis plusieurs décennies.
Les raisons tiennent à la fois à la fin de la standardisation de la production, à la part importante faite à l’intelligence humaine, dans les processus d’organisation du travail comme dans les procès de productions pour répondre aux demandes personnalisée des clients, à l’émergence du numérique qui amplifie le phénomène, à l’élévation des niveaux de formation et de qualifications…
En considérant que « Le social tout seul bute sur l'économique et l'économique tout seul bute sur le social », la Ministre du travail semble rompre avec l’idée que le social est une conséquence de l’économie, son sous-produit en quelque sorte. Les protections des salariés ne semblent pas, dans sa vision, être les contreparties à plus de liberté pour les entreprises. Ce sont ces 2 dimensions qui sont intrinsèquement liés dans une logique de développement économique et social dans un contexte de mondialisation.
On peut Voir dans l’explication de sa proposition de fusion des différentes instances un levier pour progresser vers une plus grande articulation entre l’économique et le social en se donnant les moyens d’un dialogue social se situant au niveau de ces enjeux. Ne pas séquencer les questions à traiter car tout est lié. Par exemple, les questions économiques ne sont pas déconnectées des questions de santé au travail.
Un des arguments avancé par Muriel Pénicaud, pour plaider la fusion, est aussi la capacité que cela donnerait aux représentants des salariés d’avoir une vision d’ensemble.
Par ailleurs, en disant clairement que les moyens donnés aux acteurs de la négociation que sont les syndicats, ne sont pas « une contrepartie » à quelque chose, mais « une condition de réussite ses réformes », là aussi la Ministre du Travail semble vouloir rompre avec une certaine conception de la négociation qui cantonne celle-ci dans la négociation de contreparties à des « chasses gardées » des chefs d’entreprises.
Le discours de Muriel Pinicaud est cohérent. Il est porteur d’un changement profond dans la nature, le rôle, la place de la négociation.
Il serait difficile de ne pas voir dans les intentions affirmées par la ministre du travail, une ambition allant dans ce sens.
Certes, les intentions ne font pas la réalité des réformes. Je sais que beaucoup vont me rétorquer que le diable se cache dans les détails, et que nous n’avons à ce jour aucun détail.
Bien sûr, vouloir faire de la négociation une démarche pour réconcilier l’économique et le social, ne signifie aucunement la négation du conflit qui existe entre les différents acteurs de l’entreprise. Les contrats qui lient le salarié avec son employeur, que ce soit le Contrat de travail individuel, les conventions collectives ou accords d’entreprises, ne seront jamais des contrats commerciaux. Les contractants ne sont pas, par la nature de leur rapport, en situation d’égalité. Le code du travail a justement pour objet, de créer les conditions d’un équilibre dans les rapports (déséquilibrées par construction) entre les contractants du champ du travail, de son organisation, de la vie de l’entreprise.
Les conditions de cet équilibre, ne peuvent être déconnectées de la réalité dans laquelle les rapports sociaux se vivent. Adapter ces conditions, sans toucher aux « fondations historiques de notre modèle », doit être tout l’enjeu de la réforme qui s’annonce.
Ce changement est essentiel pour affronter les questions économiques et sociales d’aujourd’hui. Mais il est engageant pour les acteurs de la négociation, tant du côté patronal que du côté syndical.
Pour le patronat c’est une véritable révolution en son sein qu’il doit mener pour que dans les entreprises, le pouvoir économique, stratégique puisse un jour être partagé avec les partenaires sociaux.
Pour les organisations syndicales, c’est aussi une révolution pour que la négociation s’émancipe de sa fonction de « quasi marchandage de contreparties » pour entrer dans une logique de responsabilité et de compromis. Mais les mots ne suffiront pas, les coups de gueule non plus. Son implantation dans toutes les entreprises quelque soient leurs tailles, est un enjeu majeur pour transformer l’essai
Gaby BONNAND
[1] https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/030372333014-muriel-penicaud-le-cdi-est-la-norme-et-le-restera-2092638.php