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Accès de tous au système de santé

Pour des raisons historiques et institutionnelles, il n’est pas très aisé d’avoir une approche cohérente de ce qui concourt à l’accès aux soins de l’ensemble de nos concitoyens.

Pour l'usager, avoir accès aux soins c’est d’une part avoir les moyens financiers d’y accéder et c’est d’autre part avoir une offre de qualité le plus proche de chez lui, pour ce qui concerne au moins les soins de premiers recours.

Du côté des acteurs du système, qu’ils soient professionnels, financeurs, régulateurs ou assureurs c'est plus diversifié. Sous ce vocable d’accès aux soins, on évoque, en effet ce qui touche au financement et aux coûts de la santé. Ainsi on parle de «dépenses d’Assurance Maladie », de « complémentaires santé », de « Mutuelles », de « Reste à Charge ». Mais on évoque également d’autres questions telles que « l'organisation du système de soins ou de santé », le « parcours de soins » ou « parcours de santé » la « Santé Publique » ou « l’aménagement du territoire ». Probablement que cette liste n’est pas exhaustive.

Ce cloisonnement dans cette approche n’est pas étonnant. Il prend racine dans les origines de nos systèmes et est le reflet du lieu d'investissement, d'implication de ceux qui en parlent.

Les questions de santé Publique sont antérieures aux systèmes « d’assurance » permettant aux individus de bénéficier d’une couverture en cas de maladie.

A titre d’exemple  la loi interdisant d’employer les enfants de moins de 8 ans dans les entreprises de plus de 20 salariés, en 1831, ou celle sur les logements insalubres en 1850, sont des mesures de santé publique prise alors qu’aucun système général de couverture n’existait. Les systèmes d’aides n’existaient que par les sociétés de secours mutuels.

Il en est de même pour l’organisation du système de santé. Même si la réforme de 1958 est la réforme qui consacre l’étatisation des hôpitaux, cette démarche s’inscrit dans une histoire ancienne où dès la révolution les hospices ou autres dispensaires, détenus le plus souvent par l’Eglise sont nationalisés et donnés en gestion aux autorités locales.

Concernant la médecine de ville, la création, dans les années 20, de la CSMF qui regroupe les médecins libéraux, et la définition par celle-ci des conditions de l’exercice libéral (liberté d’installation, de prescription et de tarification d’un coté et liberté de choix du médecin par les patients, d’un autre côté) ont profondément marqué l’organisation du système de santé.

Par ailleurs, la création de l’assurance maladie dans le grand système de protection sociale est marquée par la période de sa création en 1945. L’objectif premier de la sécurité sociale, est de permettre aux individus de ne pas être privés de moyens de subsistance, en cas d’impossibilité de les avoir, par le travail. Bien sûr que l’ordonnance d’octobre 45 définit des garanties permettant l’accès aux soins mais elle crée aussi une couverture en cas d’incapacité physique de travailler. Et dans les premières années d’après guerre, les prestations versées sous forme d’indemnités journalières représentaient une part très importante de la dépense totale de la branche assurance maladie.

Nous ne sommes plus dans ce contexte : Les Indemnités journalières représentent 6 à 7% des dépenses totales de l’assurance maladie. Les autres dépenses sont des remboursements de soins. Les remboursements de soins sont en fait devenus le vecteur de financement d’un secteur économique qui représente 11% de l’emploi  et 10% du PIB. De ce fait, l’étanchéité originelle entre l’organisation du système de soins et le financement, est devenue au fil de l’histoire et des évolutions, un frein à l’efficience du système dans son ensemble.

Pour travailler sérieusement à la redéfinition d’un accès de tous au système de santé, nous devons poser les différents enjeux dans leur complexité tel qu’hérités de notre histoire.

 

Les enjeux économiques 

Selon la Direction de la Recherche des Etudes de l'Evaluation et des Statistiques, les dépenses de santé de  2010, sont prises en charge à 75% par un financement socialisé, assis sur des prélèvements obligatoires et gérés par l’Assurance Maladie.

13,5% repose sur un financement « privé » assuré  par les complémentaires regroupées dans 3 grandes familles (La Mutualité Française, les institutions de prévoyance et les Assurances).

Et enfin pour 9,4% en moyenne le financement repose sur les ménages, dont la part ne cesse d’augmenter du fait des dépassements d’honoraires et de l’augmentation des primes d’assurance ou de cotisations aux mutuelles

Les dépenses de santé ne peuvent s’analyser seulement comme un « coût ».  Le Haut conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie le redit dans son rapport de Mars 2012: "Parce qu'elle concourt à la bonne santé de la population active, qu'elle suscite une importante activité de production et de services et qu'elle peut stimuler la recherche et l'innovation, l'assurance maladie contribue à la croissance de la richesse nationale. Elle n'est pas qu'un simple "facteur de coût", et certains estiment même qu'elle peut contribuer, au moins pour partie, à dynamiser ses propres ressources"[1]. En effet ces dépenses correspondent à une consommation. Cette consommation (et ce qu’elle induit comme développement d’un secteur économique), participe à la croissance. Une baisse de la consommation dans le domaine de la santé, peut avoir des effets négatifs sur la croissance. D’où la question : Comment maîtriser l’évolution des dépenses sans freiner la croissance ?

L’analyse de la part de l’assurance maladie obligatoire dans la dépense globale de santé, ne peut pas se satisfaire d’une approche globale. Comme l’a montré Didier Tabuteau, mais  aussi, le haut conseil pour l’Avenir de l’assurance maladie, la part du remboursement des soins de ville par les régimes de base ne représente qu’un peu plus de 50%. La part de l'assurance maladie dans les dépenses de l'hôpital est par contre très importante. Mais rappelons qu'un des motifs de l’augmentation des dépenses de l’assurance maladie est la forte progression des coûts engendrés par les Affections longue durée (ALD)

La tentation de maitriser l’évolution de la dépense publique par un transfert massif vers les complémentaires et les ménages est plus qu’une impression. C’est un risque qui existe. C’est même une démarche qui est en route de manière insidieuse avec le secteur à honoraire libre, les forfaits hospitaliers ou autres franchises... En effet l'endettement du pays ne souffre pas d'une augmentation des dépenses globales de santé, mais des dépenses publiques. Régler la question du désendettement par le bocage ou la limitation des dépenses publiques par des mesures budgétaires ne règle en rien la question de l'équité.  Ces mesures ne font que reporter sur les ménages ou les complémentaires le poids de la dépense.  Par ailleurs, il y a un risque d’aboutir à une séparation étanche entre ce que couvriraient les régimes de base et ce que couvriraient les régimes complémentaires. Les Régimes obligatoires se concentreraient sur les soins lourds, le reste serait pris en charge par les complémentaires.

 

Les enjeux sociaux

L’accès à des soins de qualité pour tous et chacun, quel que soit sa situation sociale, professionnelle, familiale, géographique ou financière, dépend, d’une part, du niveau de prise en charge, d’autre part, d’une organisation efficiente du système.

Concernant le niveau de prise en charge, il est reconnu par tous les travaux du HCAMM, de la DREES, de l’IRDES… que le fait d’avoir ou de ne pas avoir une complémentaire est un élément essentiel pour l’accès aux soins. Ce qui en creux veut dire que le régime général ne prend pas en charge à un niveau, permettant d'accéder aux soins. Ceci vaut surtout pour des populations à faibles revenus mais supérieurs aux niveaux de ceux qui donnent accès à la CMUC ou l'ACS (Aide à la Complémentaire santé)

Quant à l’organisation du système, les disparités dans la ventilation de l’offre de soins provoquent des freins à l’accès aux soins. Les déserts médicaux ne sont pas l’apanage des zones rurales. On en connait également dans des quartiers de villes. Mais une organisation efficiente ne repose pas seulement sur une meilleure répartition de l’offre. Une organisation efficiente nécessite une plus grande articulation entre l’ambulatoire, l’hôpital, le médicosocial. Mais aussi sur des relations plus étroites entre la prévention et le soin. L’enjeu est de passer, comme le dit le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie« d’une médecine pensée comme une succession d’actes ponctuels et indépendants à une médecine qu’on peut appeler de « parcours ». C’est-à-dire une médecine – entendue plus largement que les actes des seuls médecins – dont l’objectif est d’atteindre, par une pratique plus coopérative entre professionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une qualité d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante ».

Cela nécessite un pilotage pour que l’action des différents acteurs (professionnels de santé, industrie pharmaceutique, gestionnaires de l’offre de soins, distributeurs et pharmaciens, financeurs…) fasse système et réponde aux besoins des populations. Ce n’est pas le plus facile tant les intérêts particuliers sont forts et conduisent souvent les uns et les autres à capter une partie de la « rente » que constitue le financement public.

 

Equité, Solidarité: 2 piliers du "vivre ensemble"

Le défis qui est posé pour prendre en compte les enjeux économiques et les enjeux sociaux, est de dépasser les questions institutionnelles pour revenir aux fondamentaux. Il ne peut y avoir de « vivre ensemble », si nous laissons se développer les inégalités fortes dans le domaine de l’accès aux soins (Au sens large, ne se limitant pas aux soins curatifs), et de sa prise en charge. La réponse à ce développement des inégalités ne peut pas passer par le simple prolongement du passé, ou par un retour à celui-ci. Notre monde a changé et nous ne pouvons pas nous extraire de cette réalité pour penser le vivre ensemble aujourd’hui, « ici et maintenant »

Or aujourd’hui, sous l’effet de conjonctions multiples une part de plus en plus importante de la couverture et de la prise en charge des frais de santé est laissée à la régulation par le marché. Sous l’effet des directives européennes et de leur insertion dans la législation nationale, les acteurs de la complémentaire se sont banalisés et comme le disent 2 chercheurs Gaël CORON et Laurence POINSART "Pour la communauté européenne c'est bien le service lui-même qui compte du point de vue du consommateur et non pas le statut" (de l'Opérateur NDLR)[2]

Le système de santé ne peut être guidé que par la seule volonté de maîtriser les dépenses. C’est la question de l’efficience du système qui est posé. En effet la dépense en matière de santé n’a de sens que si elle répond à un besoin et que si elle contribue à un mieux être de l’individu, des individus. Notre système de santé est complexe. De nombreux acteurs y sont parties prenantes. Du domaine de l'organisation et de la production des soins, à celui de la couverture ou du financement, en passant par celui de la régulation, sans oublier l’industrie liée à ce domaine, les intérêts sont nombreux et divergents.  L’efficience du système repose sur la capacité à mettre tous ces acteurs en synergie.

 

Concilier la dynamique économique et la dynamique sociale ?

La réponse à cette question est donc à la fois d’ordre financière, et organisationnelle.  Dans le domaine de la santé, la dépense ne s’analyse pas uniquement en termes de niveau, mais de contenu. La question n’est donc pas seulement une dépense plus ou moins importante, mais une dépense qui réponde aux besoins, qui ne mette pas à mal un système de financement socialisé. Si l’on veut garder un système de protection sociale solidaire, il serait irresponsable de considérer que les dépenses ne doivent pas être contenues. Mais contenir les dépenses nécessite de travailler à l’amélioration de l’organisation du système de santé.

Des initiatives pour une plus grande coopération des professionnels de santé autour de patients atteints de maladie chroniques, montrent qu'on économise des séjours en hôpital, qu’on évite des sur-médicamentations, des redondances dans des prescriptions radiologiques… Agir sur les dysfonctionnements c’est agir pour une dépense plus adaptée et plus efficiente.

Pour répondre au défi financier, il est absolument indispensable de généraliser la complémentaire santé. Mais il ne s’agit pas simplement de créer un droit à l’assurance complémentaire. Il faut mettre en œuvre une dynamique qui fasse de cette généralisation un moyen pour accéder à des soins de qualité tout au long de la vie.

Pour cela, cette complémentaire santé doit comprendre un panier de soins réévalué à période régulière pour tenir compte des évolutions sociales, économiques, et de l’évolution du progrès médical et des pratiques de soins. Elle doit être généralisée à tous.

Les articles 1 et 2 de l’accord national interprofessionnel de Janvier 2013, est une première étape. Avec cet accord, c’est un droit à la complémentaire santé qui a été créé. Celui-ci n’est plus lié au contrat de travail mais à l’individu qui pourra porter ce droit en cas de rupture du contrat de travail. Il faut aller plus loin en élargissant le parcours professionnel au parcours de vie

Les aides publiques, affectées à des dispositifs (CMU-C, ACS, Contrat collectifs…) doivent être redéployées pour permettre la mise en œuvre de cet objectif et combattre les inégalités entre complémentaires.

Mais la généralisation ne se limite pas à assurer une solvabilisation par la prise en charge de frais de santé.

La généralisation doit également s’accompagner d’une plus grande implication des mutuelles dans l’organisation de l’offre de soins. Nous le savons, une organisation plus efficiente est source d’économie. Il y a donc nécessité à développer des initiatives dans ce domaine, pour à la fois mieux accompagner les professionnels dans leur organisation et les patients dans un système de santé souvent complexe. Les mutuelles qui ont développé des compétences dans ces domaines peuvent être des atouts dans cette action pour mieux accompagner les patients et organiser l’offre

Avec cette approche, la santé n’est pas considérée comme une simple matière assurable, logique dans laquelle les assureurs veulent nous entrainer. Ainsi serait séparé ce qui ressort de la solidarité nationale, pris en charge par la Sécurité sociale, et ce qui serait pris en charge par le marché.

Il s’agit au contraire dans un monde en évolution, de rechercher ce qu’il est absolument indispensable de mutualiser pour rendre l’accès au système de santé à tous. La place du socle public doit donc être consolidé et la place des mutuelles fortement régulée et mises à contribution, non pas pour développer de la matière assurable, mais pour couvrir et accompagner les patients dans leur parcours de santé, mais aussi accompagner les professionnels de l’ambulatoire dans une organisation plus coopérative.

Gaby BONNAND

 

[1] Rapport HCAAM: Avenir de l'assurance maladie: Les options du HCAAM

[2] Les mutations de la protection sociale complémentaire sous l’influence des directives européennes : le cas des institutions de prévoyance et des mutuelles Gaël Coron et Laurence Poinsart (Février 2006)

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