5 Décembre 2016
Stéphane travaille depuis 25 ans sur la chaîne d’abattage d’un grand groupe agro-alimentaire de l’Ouest de la France. En début d’année 2016, il a sorti un livre avec le titre évocateur "A l'abattoir" [1].
Il y raconte ce qui est le plus souvent très loin des projecteurs médiatiques, « un travail qui casse les hommes et, à cinquante ans, leur donne le sentiment d'être déjà vieux ». Dans l'industrie agro-alimentaire, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes vivent encore aujourd’hui dans les conditions que Stéphane raconte.
Depuis 25 ans que je travaille, dit Stéphane dans l’interview qu’il a accordé lors de la sortie du bouquin « je n’ai jamais vue un ouvrier de la « tuerie » quitter son poste à l’âge de prendre sa retraite. Ils sont tous en arrêt maladie ou en maladie professionnelles depuis longtemps. A 50 ans, on est déjà franchement usé. Et psychologiquement, voir du sang toute la journée, ça perturbe le sommeil. Personne ne tient sans être opéré au moins une fois. On a tous des problèmes d’épaules, de coudes, de dos. Moi, j’ai déjà été opéré quatre fois. Avant le travail, maintenant on a des échauffements. Mais quand on entend des débats sur l’allongement de l’âge de la retraite, ça nous fait rire, car pour nous, c’est impensable. Derrière les biftecks et les gigots, il y a beaucoup de sueur d’homme, de maladies professionnelles et d’accidents de travail[2] ».
Alors quand j’entends les discours d’un nombre important de responsables patronaux, et de responsables politiques (de droite) s’insurger contre le Compte Personnel de Prévention de la pénibilité, je ne suis pas loin de l’écœurement.
Comment le travail réel, à coup de chiffres et de ratios, d'indicateurs de productivité et de rentabilité, a-t-il pu devenir à ce point invisible?
La mission nommée par le 1° Ministre, sur cette question, vient de sortir un premier rapport intitulé « améliorer la santé au travail, l’apport du dispositif Pénibilité ». Ce rapport met l’accent sur la nécessité d’agir de manière volontariste, dans la mesure où il n’y a pas de réduction spontanée de la pénibilité comme le montre très clairement les chiffres.
« Avec des variations selon les critères de pénibilité retenus, le pourcentage de personnes exposées ne diminue pas, entre 1984 et 2013. Ainsi, l’exposition aux contraintes physiques, aux produits dangereux ou aux risques infectieux augmente sur la période. Seule l’exposition aux fumées et poussières, mesurée sur une période plus courte, diminue entre 2005 et 2013. Pour les contraintes posturales entre 1984 et 2013, on constate une augmentation souvent très importante, jusqu’à un doublement des effectifs pour l’exposition aux secousses ou vibrations entre 1984 et 2013[3] »
Le rapport, auquel j’ai participé, fait des propositions dans trois domaines :
L’exposition des salariés à la pénibilité est une question de Santé Publique qui doit donner lieu à débat public.
Loin d'être un dispositif à remettre en cause, le Compte Personnel et de Prévention de la pénibilité est un levier majeur pour alimenter ce débat et agir