26 Octobre 2017
J’ai lu avec grand intérêt l’article d’Alain Supiot dans le Monde Diplomatique d’octobre 2017 intitulé « Et si on refondait le code du travail » et je suis interrogatif.
Si je partage largement l’analyse de l’auteur quant aux conséquences des politiques néolibérales sur le droit du travail, lequel est considéré dans cette logique comme « un produit législatif en compétition sur un marché international des normes, où la seule loi qui vaille est la course au moins-disant social, fiscal et écologique »,je reste interrogatif sur la partie introductive de l’article qui oriente l’analyse.
L’auteur, dans cette première partie, affirme que les institutions « nées de la seconde révolution industrielle » qui ont permis aux pays européens de connaitre après-guerre « une période de paix intérieure et de prospérité», sont aujourd’hui « déstabilisées et remises en cause par les politiques néolibérales ».
Les 3 piliers sur lesquels reposait la figure de l’Etat qu’étaient « les services publics intègres et efficaces, une Sécurité Sociale étendue à tous et un droit du travail attachant à l’emploi un statut garantissant aux salariés un minimum de protection » seraient venus, selon l’auteur, se fracasser contre le mur du néolibéralisme.
Je m’interroge effectivement sur cette approche. On peut évidemment contester mon analyse et même la rejeter du seul fait que je ne suis ni économiste, ni juriste.
Il est indéniable que dans tous les pays européens, même si c’est à des degrés divers, les politiques néolibérales ont eu, et ont toujours, sur les systèmes mis en place au sortir de la guerre, des effets dévastateurs.
Je suis surpris par contre que l’auteur semble considérer ces politiques à l’origine de la déstabilisation de ces systèmes. Si ces politiques ont déstructuré et déstructurent de manière importante les 3 piliers auxquels l’auteur fait référence, elles ne me semblent pas constituer la première cause de cette déstabilisation, au début des années 70.
Les révolutions conservatrices et néolibérales qui ont eu lieu au Royaume-Unis et aux Etats-Unis datent de la fin des années 70. Elles apparaissent plus comme une réponse à une déstabilisation de nos systèmes sous des effets conjugués, qui me semblent être pour partie extérieurs au néolibéralisme :
Si j’insiste sur cette question, c’est parce que pour moi, les politiques néolibérales ne sont pas à l’origine de la déstabilisation du système, du moins pas l’origine première, mais elles ont été les seules réponses données à des dérèglements qui impactaient nos systèmes
Cette analyse qui fait de ces politiques l’origine du fracassement ne prend pas en compte la totalité de la réalité des choses. Elle n’est donc pas complète et peut conduire les acteurs de terrain dans une impasse :
Alain Supiot nous appelle à une rigueur d’analyse pour bien différencier ce qui ressort de la révolution numérique et informatique et ce qui ressort du néolibéralisme. Il a raison car effectivement comme il le dit, « la révolution numérique est irréversible mais susceptible de servir des fins politiques différentes », alors que le néolibéralisme résulte d’un choix politique donc réversible.
Si cette rigueur d’analyse me semble nécessaire et essentielle, la même rigueur doit exister sur les éléments qui ont déstabilisé nos systèmes d’après-guerre. Je ne constate pas la même rigueur d’analyse sur cette question, du moins dans cet article.
Je regrette d’autant plus ce manque de rigueur d’analyse, que la partie conclusive de l’article s’attache à présenter une autre différence essentielle aux yeux de l’auteur. Faisant référence à Gramsci, l’auteur nous dit « qu’il ne faut pas confondre le réformisme et le transformisme ». Le transformisme désigne selon Alain Supiot, « une politique qui prétendant gouverner au centre, n’a d’autre boussole que l’adaptation aux contraintes extérieures pour accéder ou se maintenir au pouvoir ». Le réformisme désigne quant à lui, toujours selon l’auteur, « une action politique animée par le projet d’un monde plus juste qu’on entend faire advenir pacifiquement ».
J’aimerais que l’auteur qui ne voit pas de réforme du droit du travail « digne de ce nom » depuis les lois Auroux de 1982, nous dise ce qu’il pense de toutes les politiques conventionnelles qui se sont développées ces dernières décennies et qui ont impacté le droit du travail.
Les organisations syndicales, qui dans un contexte concret difficile, ont réussi, cependant en prenant en compte des situations réelles vécues par de nombreux travailleurs, à les doter de droits dont ils étaient privés, sont-elles des organisations syndicales réformistes ou des organisations transformistes ? J’avoue qu’à la lecture de l’article, je crains le pire.
Ces questions me semblent essentielles car les propositions de l’auteur concernant le rapport de « dépendance économique », l’identification de nouveaux lieux de négociation (réseaux d’approvisionnement et de production d’une part et territoires d’’autre part), mais aussi celles concernant les mesures juridiques internationales (normes sociales et environnementales à doter d’une force juridique, instance internationale d’arbitrage de litiges…), sont particulièrement intéressantes et nécessitent d’être portées politiquement et syndicalement.
Les prendre en compte et les faire progresser nécessite pour le moins de ne pas se tromper dans l’analyse globale des causes de la déstabilisation du système créé après la deuxième guerre, sauf si l’objectif est de rester dans l’incantation ou dans la pureté de la théorie qui s’accommode très mal de l’imperfection du monde réel.
Gaby BONNAND