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Face à la pression de l'immédiateté et aux raccourcis, un regard décalé sur la Protection Sociale

Dans une période où notre modèle social est encore une fois au cœur de la crise sociale que nous traversons, où les références historiques sont convoquées, où les raccourcis laissent penser que la protection sociale en France aurait commencé avec la Sécurité Sociale créée de toute pièce en 1945, il est intéressant de prendre un peu de recul.

J’ai retrouvé un article du Monde dans la rubrique « les décodeurs »  datant du 27 Octobre 2017, mois qui comme tous les mois d’octobre, depuis la révision de la constitution de février 1996, voit l’Assemblée Nationale débattre du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. L’auteur de l’article, Laura Motet fait un petit rappel sur les origines de la Sécu, en invitant 2 historiens à décrypter l’histoire de cette grande dame et à dépasser les mythes qui entourent sa création[1].  

Cet article revient sur le mythe d’une Sécu qui serait une œuvre créée de toute pièce par les communistes. Pour Fabrice Grenard[2], un des historiens que la journaliste cite dans son article « Dire que la Sécurité sociale est uniquement une œuvre communiste est un non-sens total ». Mais ce mythe perdure et selon l’autre historien Bruno Valat[3], à qui laure Motet donne la parole, le film « La Sociale » de Gilles Perret fait perdurer ce mythe mais se situe « très loin de la réalité historique[4] ».

Ce mythe entretenu par les communistes eux-mêmes, est utilisé également par ceux et celles qui veulent s’en prendre à notre modèle de protection sociale et  aux principes de solidarités qui le fondent. C’est le  cas de Anne Bourdu, Vice-Présidente du Parti Libéral démocrate cité par l’article de Laura Motet, qui identifie la Sécu à «un vestige communiste de 45 » et en tire argument pour montrer à quel point notre modèle est dépassé. C’est le cas également d’autres libéraux ou plus exactement très, très libéraux comme Denis Kessler lequel amende un peu le mythe en y faisant entrer les gaullistes. Il considère  notre système de protection sociale comme « un compromis entre gaullistes et communistes ». Ce qui constitue également un argument pour appeler à le « défaire méthodiquement »[5], car pour lui, si ce compromis a permis à la France d’échapper « aux chars russes qui étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général »[6], il est temps de tourner la page.

Les 2 historiens que fait parler Laura Motet insistent sur un système de protection sociale qui s’est construit progressivement dans un pays très en retard au regard de ce qui se passe par exemple  en Allemagne qui « qui avait mis en place, sous Bismarck, un système d’assurance généralisée contre les risques maladie dès 1883, les accidents du travail en 1884 et de vieillesse et d’invalidité en 1889[7] ».

C’est au début du XX° siècle que la France commence à se doter de lois concernant la protection sociale. La loi de 1910 sur le Retraites ouvrières et paysannes fait partie de celles-ci. Puis il y a les lois de 1928 et 1930, 1932 sur les assurances sociales sanctionnant en quelques sortes 10 ans de débats parlementaires et de controverses publiques, qui donnent naissance à une assurance vieillesse, une assurance maladie, une assurance contre les risques d’invalidité et les allocations familiales. «Trois législations, toutes passées par des gouvernements non communistes, et qui ont servi de socle à la Sécurité sociale d’aujourd’hui », indique Bruno Valat.

Et pour Bruno Valat, ce qui se passe en 45 en matière de protection sociale ressort plus de « réformes des assurances sociales que de création de la sécurité sociale ex nihilo » replaçant ainsi la création de la sécu dans une continuité de l’histoire.

Il ne s’agit pas par cette lecture de nier le rôle et la place des communistes et des gaullistes dans la création de la sécu. Leur rôle a été important tant dans la résistance que dans la libération du pays.

Il s’agit simplement de ne pas simplifier l’histoire au point de faire de la Sécurité Sociale, un système qui serait née en faisant table rase du passé.

Il s’agit de rappeler, dans une période où les tentations de renverser la table semblent frapper plusieurs formations politiques françaises, que derrière les mythes de rupture, l’histoire est plus simplement faite d’évolutions pour lesquelles l’action collective des hommes et des femmes est déterminante pour en donner le sens.

C’est bien ce qui se passe en 1945. Pour Bruno Valat « Ce qui est vraiment nouveau en 1945, c’est l’idée de voir en grand, que la Sécurité Sociale doit véritablement devenir un droit au sens fort du terme et que tous les français doivent pouvoir en profiter ». D’ailleurs, le programme du CNR, rappelle Laura Motet dans son article, affiche « la volonté de rendre le système d’assurance universel ». Pour Bruno Valat, « le consensus politique sur les questions économiques et sociales qu’a connu notre pays à la libération,  n’a jamais eu d’autre équivalent dans l’Histoire contemporaine » pour des raisons multiples et notamment tout le vécu de la première et la seconde guerre mondiale. C’est cette dynamique qui a permis en 1945 de faire évoluer notre modèle en prenant appui sur l’existant et passer « d’une logique d’assurance où chacun cotise pour soi, à une logique de transfert social, où on cotise pour les autres, ceux dans le besoins ».

Ce regard sur l’histoire va dans le sens de ce que j’ai souvent exprimé lors de mes interventions  sur l’histoire de la Sécurité et que j’exprime encore quand je suis sollicité pour intervenir.  

Je sais que je vais m’attirer quelques critiques sévères en remettant en cause cette vision d’une Sécurité Sociale créée en rupture avec le passé.

Parmi ceux qui vont critiquer ma vision,  il y aura probablement ceux qui se réfèrent, aujourd’hui au programme du CNR pour défendre les régimes spéciaux. Pourtant ces régimes ont plus à voir avec une histoire qui remonte au XIX° sicle, qu’à la création de la Sécurité Sociale de 45.

L’histoire des régimes spéciaux est en effet un mélange de paternalisme et de volonté patronale pour fidéliser une main d’œuvre, d’actions syndicales puissantes, le tout donnant naissance à une culture corporatiste très forte commune aux dirigeants et aux salariés de ces grandes entreprises[8].

Pour conclure ce papier laissons la parole à Pierre Laroque parlant de la sécurité sociale et de ses échecs «La Sécurité sociale a connu des succès et des échecs. Succès indiscutable, l’établissement d’un sentiment de sécurité dans la masse de la population et particulièrement, dans les éléments qui étaient en état d’infériorité….  il  a des échecs à mes yeux. Le premier, c’est que nous avions basé la Sécurité sociale sur une solidarité nationale qui existait dans l’élan de la Libération ; et qu’on a vu, on a assisté à une résurgence des particularismes socioprofessionnels et à la multiplication des régimes ».

Gaby BONNAND

 

 

[1] La Sécurité sociale, pas vraiment un « vestige communiste de 1945 »

[2] Fabrice Grenard : Historien, Directeur du département recherche et pédagogie de la Fondation de la résistance.

[3] Brunot Valat Historien de la Protection sociale. Maître de conférences d'histoire contemporaine au Centre universitaire J-F. Champollion

[4] Bruno Valat cité par Laure Motet dans l’article cité.

[5] Denis Kessler dans la revue Challenges le 4 octobre 2007
[6] Denis Kessler dans la revue Challenges le 4 octobre 2007

[7] Le Monde 26 Octobre 2017 Les décodeurs Laura Motet

[8] https://www.franceculture.fr/histoire/a-lorigine-le-regime-special-des-cheminots-a-ete-une-volonte-patronale

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M
Très intéressant ce recul historique ! Qu en conclure pour aujourd’hui ? un système universel serait souhaitable mais on dirait bien qu'il va être connoté très négativement et vu comme une entourloupe permettant une diminution des droits car mal préparé (tiens les enseignants vont y perdre !), mal présenté, confus (les femmes gagnantes ou perdantes ? age de départ ou durée de cotisation ?)), confondu avec les mesures d'âge...Bref comme dit dans le Monde l'or s'est transformé en plomb !
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