Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ce blog est un espace d'expression. Il a pour ambition de s'inscrire dans le débat politique, social et sociétal. "Ouvertures" signifie que le débat y est possible dans le respect des valeurs qui président à des débats démocratiques: écoute, respect des individus, sincérité ... C'est un espace dans lequel tous et toutes sont invités à s'exprimer. c'est par le débat que les idées progressent et s'enrichissent. Pour ceux et celles qui le souhaitent, il est possible de s'abonner, en suivant les indications sous la rubrique "s'abonner", situé à la droite de l'article.

Non au procès d'abandon du réformisme, contre la CFDT

La période de mobilisation contre le report de l’âge de la retraite a 64 ans,  fait germer une sorte de climat accusateur à  l'encontre de la CFDT, qui aurait abandonné son réformisme.

Ces procès viennent de plusieurs cercles. Des cercles proches du pouvoir, aux clubs de ceux et celles qui abreuvent l'opinion de scoops permanents dans les médias, en passant par ceux et celles qui ont une vision molle du réformisme, une sorte de  discours « révisionniste » sur l’histoire de la CFDT se fait de plus en plus présente dans les médias.  En clair la CFDT plus conciliante dans le passé aurait abandonné son réformisme.

Faut-il rappeler que chaque fois que la CFDT a considéré que des mesures étaient injustes ou inappropriées, elle s’est mobilisée pour exprimer ses critiques et propositions, pour mobiliser et créer un rapport de force, pour négocier quand les interlocuteurs ont ouvert des espaces, pour construire des compromis qui ne comportaient aucune mesure inacceptable pour les parties concernées.

On pourrait rappeler à ce sujet que la si la CFDT a soutenu le plan Juppé sur son volet assurance maladie en 1995, (parce que les propositions faites avaient été précédées de concertation et avait abouti à un texte dans lequel de nombreuses propositions CFDT avaient été reprises), elle s’est opposée au volet retraite proposé dans le plan. La mobilisation de l’ensemble des organisations syndicales, sur ce sujet a fait reculer le gouvernement qui a retiré sa réforme.

On pourrait rappeler également que si en 2003, la CFDT a considéré la réforme proposée par le gouvernement Raffarin, comme un compromis acceptable, c’est parce que la mesure de durée de cotisations, plus juste que le critère d’âge a été introduite et qu’elle a permis d’obtenir des départ anticipés avant 60 ans au taux plein pour les carrières longues (ceux et celles qui ont commencé de travailler avant 20 ans. Ils ont été plus de 1 Millions à en bénéficier).  

La même CFDT s’est opposée à la réforme de 2010 qui écornait ce principe, et introduisait des mesures concernant la pénibilité ne reprenant que les propositions des organisations patronales.  

Alors en même temps que la bataille sur les retraites, il me semble important de conduire une bataille pour replacer le réformisme CFDT à sa place, en évitant de le réduire à une forme d’acceptation d’une réalité dominée par les intérêts économiques, budgétaires et financiers.

Ce papier veut modestement participer à ce débat.

Pour éviter de me voir reprocher de parler à la place des dirigeants d'aujourd'hui, ou de me prendre pour un historien, je choisi de verser au débat la manière dont la CFDT a développé sa conception du réformisme dans une période où j'en étais un des acteurs comme militants puis comme dirigeant.

Et quoi de mieux pour exprimer cette conception que de se référer à ce que CFDT dit elle-même, à l’occasion de temps forts durant cette période.

Pour ma part je considère que le Congrès de Lille, il y a 25 ans, a été un temps fort de conceptualisation du syndicalisme CFDT, à partir de sa pratique largement marquées par le congrès de Brest (rapport Moreau[1]) de 1979 qui a redéfini le rôle d’un syndicalisme de transformation sociale, en faisant de la négociation et du compromis, une démarche centrale du syndicalisme CFDT.

Le congrès de 1998, redéfinit la manière dont la CFDT voit sa place d'acteur efficace :

  • Avec et pour les salariés dans le monde du travail avec le rapport « Fonctions et missions du syndicalisme confédéré : Des choix et des actes CFDT »
  • Dans la consolidation de la démocratie avec le rapport  « L’enjeu de la Démocratie »
  • Pour un espace européen et mondial régulé, avec le rapport « Le syndicalisme face au défi de la mondialisation ».

Je ne veux pas reprendre ici l’intégralité des textes, mais j’invite tout le monde à les relire, notamment tous ceux et toutes celles qui font des scoops, des raccourcis, et des poncifs éculés, la matière première de leur production théorique.

Je mentionnerais quelques extraits qui me semblent éclairer un regard sur l’histoire de la CFDT et de la conception de son réformisme.

« Face aux affrontements d’intérêts qui existent dans toute société démocratique, la CFDT a la volonté de contribuer, avec d’autres acteurs, à la construction d’une société dans laquelle les conflits puissent s’exprimer, se résoudre à travers le débat, la confrontation, la négociation. Dans cette perspective, la stratégie d’action de la CFDT s’inscrit dans une démarche démocratique qui, à travers la recherche de lieux appropriés, cherche à organiser, maîtriser et finaliser la conflictualité [2]».

« Aujourd’hui, comme hier notre conception du syndicalisme est indissociable du rôle que nous voulons voir reconnu à l’acteur syndical et à son intervention. Pour la CFDT, le syndicat est un corps intermédiaire indispensable à la démocratie… Être un corps intermédiaire, ce n’est pas être un intermédiaire, ce n’est pas se positionner en médiateur d’intérêts économiques et sociaux contradictoires ; c’est au contraire affirmer sa vocation d’acteur social, capable de faire vivre le conflit des logiques, dans la confrontation aux autres acteurs de la société civile.[3] »

« La CFDT entend assurer dans une même démarche, l’ensemble des fonctions et missions du syndicalisme. L’ambition transformatrice de la CFDT la conduit à mener de front les fonctions de critique sociale et d’expression d’indignation, de contestation et de propositions,  de mobilisation et de proposition… Le syndicalisme a vocation, avec d’autres, à orienter la société vers plus de démocratie, de solidarité, d’émancipation et de justice sociale, à influencer par des choix de fond les devenirs individuels et collectifs….

Dans une société fragmentée qui tend à exacerber l’opposition d’intérêts particuliers, le syndicalisme confédéré a pour la CFDT, l’ambition d’être porteur de solidarité et de projets communs, collectivement définis et partagés. Il se distingue à la fois de la juxtaposition de demandes contradictoires et d’un consensus à minima

Les compromis que nous recherchons ne reposent ni sur la négation, ni sur la confusion des intérêts. Ils ne sont pas non plus un médiocre apaisement consensuel qui atténuerait le conflit des logiques entre employeurs et salariés. Ils se bâtissent dans la confrontation et l’expression de rapports de force, la négociation étant le moyen d’organiser cette confrontation. Le compromis est la remise en cause du pouvoir unilatéral et refus du fait accompli. Il fait partie de l’expression de la conflictualité, il ne signe pas sa disparition[4] »

« En matière sociale, comme en politique, aucun compromis ne peut être obtenu s’il n’a pas été recherché. Il faut qu’il y ait de part et d’autre volonté de trouver un terrain d’entente, de se reconnaître comme interlocuteur portant des intérêts et des logiques contradictoires… Dans la société française, cette dimension de la culture démocratique encore loin d’être largement partagée par les acteurs patronaux, syndicaux, associatifs ou politiques[5] »

« Il n’est pas de démocratie participative sans une société civile dynamique… Toute transformation sociale, menée par la voie démocratique, suppose donc une société composée de corps intermédiaires vivants et autonomes enracinés dans des réalités sociales : Partis, Syndicats, Associations reconnus comme tels parce que capables de porter des projets sur une longue durée. Aucune de ces forces ne peut à elle seule représenter totalement des réalités par nature différentes[6]… ».

« Porteur de l’intérêt collectif des salariés, des retraités et des chômeurs, la CFDT, de la place qui est la sienne, celle d’une organisation syndicale, entend contribuer à la définition de l’intérêt général et revendique la responsabilité des acteurs dans les choix et les arbitrages opérés…[7] »

« Ainsi, les forces syndicales remplissent une fonction essentielle dans notre démocratie : exprimer les refus et les aspirations, les revendications et les propositions des hommes et des femmes qui la composent et à travers eux du salariat, entendu au sens large du terme. [8]»

Le congrès CFDT de Lille en 1998, est une référence important dans mon parcours syndical. Il fait partie des travaux qui ont structuré ma pensée, ma pratique et l’idée que je me fais de la démocratie dans un monde en mouvement qui ne cesse de connaître des chamboulements et pour lequel aucune théorie viendra fournir un système clefs en main, comme le notait un des rapports de Lille.

Au regard des orientations qui en sont sorties de ce congrès et qui donnent au réformisme CFDT, un caractère cohérent articulant expression des intérêts collectifs des salariés, organisation d’un rapport de force finalisé sur des objectifs précis, recherche de négociation pour dégager des compromis qui ne se confond pas avec un médiocre apaisement consensuel, je me sens très bien dans la CFDT d’aujourd’hui, et dans la conception du réformisme qu’elle met en œuvre dans le combat contre le report de l’âge légal de départ à la retraite.

En effet:

  • Du côté du pouvoir, tout en pratiquant la concertation, il n'a jamais cherché le compromis avec des acteurs de la société civile. Emmanuel Macron, depuis son arrivée au pouvoir n'a jamais considéré les organisations syndicales comme contribuant à la construction de l’intérêt général.
  • Du Côté de la CFDT. Elle a été déterminante pour faire de ce rapport de force, un rapport de force finalisé sur un seul point, le refus du recul de l'age de la retraite. Par ailleurs de son côté elle a des proposions sur le financement. Mais le pouvoir n'a ouvert aucun espace de discussion sur ce sujet.

Je ne reproche à personne d'être en désaccord avec la CFDT. Je crois cependant que cette période révèle que de nombreux responsables politiques et autres commentateurs dans les médias, ont une vision erronée de la CFDT (ce qui est symptomatique d'une distance profonde entre le monde politique et les réalités sociales) et de ce qu'est le réformisme. Leur conception tient plus au refus du conflit par un apaisement consensuel, que d'une véritable démarche de transformation sociale.

Il y a toujours eu des procès en trahison à la CFDT. En 1998, Nicole Notat dénonçait celui instruit dans les années 90 contre une CFDT qui serait « venu s’échouer sur les rives du pragmatisme, devenant ainsi un syndicat gestionnaire, frileux dans l’action, accommodant à l’égard de la politique patronale, et mettant en œuvre une stratégie d’accompagnement du libéralisme».

Le procès d’hier comme celui qui est instruit aujourd’hui, contre la CFDT qui aurait perdu son réformisme, ne reposent pas sur aucun fondement sérieux. Ils sont le fait de gens ou d’organisations enfermés dans leurs certitudes.

  • Certitudes pour les uns que le changement ne peut être que radical et que tout compromis se confond avec compromission.
  • Certitude pour les autres qu’il existe un camp de la raison qui rejette toutes celles et tous ceux qui refusent leurs propositions dans le camp des opposants aveugles et à la frange de la République.
  • Certitudes encore de ceux qui vont jusqu’à penser que la voie de la raison c’est celle de la puissance du marché qu’il ne faut surtout pas contrariée au risque d’être taxé d’irresponsables.

Dans une période où la pensée politique se confond souvent avec  réactivité immédiate, ne laissons pas se diffuser l’idée que la seule organisation de ce pays qui, en accordant de tout temps, une grande place à la relation entre action et réflexion, a construit en lien avec sa pratique, une pensée sur le réformisme qu’elle met en œuvre, aurait quitté les rives de celui-ci. Il nous appartient à tous et toutes de mener cette bataille « idéologique », pour renforcer la démocratie

Gaby Bonnand

[1] Jacques Moreau a été secrétaire National et auteur du rapport qui porte son nom et qui ancre la CFDT dans une démarche de transformation sociale.

[2] Rapport congrès Lille 1998 : L’enjeu de la démocratie »

[3] Réponse au rapport d’activité du congrès CFDT 1998 par Nicole Notat

[4] Rapport congrès de Lille 1998 : « Fonctions et missions du syndicalisme confédéré : Des choix et des actes CFDT »

[5] Déjà cité : l’enjeu de la démocratie.

[6] Ibid

[7] Congrès CFDT 1998 : « Fonctions et missions du syndicalisme confédéré : Des choix et des actes CFDT »

[8] Congrès CFDT 1998 : l’enjeu de la démocratie

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Merci Gaby pour ce long rappel des explications de notre attachement à l'autonomie de la CFDT et à son engagement à FAIRE société en défendant l'intérêt des salariés tout en cherchant la compatibilité avec l'intérêt général, le bien commun.<br /> Pour moi, hélas (car l'âge me le permettant), j'irai chercher plus loin encore dans mon vécu partagé au sein de la CFDT en rappelant la concrétisation de la déconfessionnalisation (1964) dans les années 70 où nous nous distinguions dans les pratiques comme dans les textes en cherchant par nous même avec les salariés un sens commun et une volonté de réformisme radical (au sens opposition aux détenteurs des pouvoirs opposés de droite comme de gauche). ,La volonté de négociation pour changer le réel ne lui a jamais fait défaut.<br /> Les congrès de 1976 Annecy, puis de 79 Metz avant celui de Brest en 82 qui concrétisait le rapport de Jacques Moreau présenté auparavant en CNC, se sont appuyés sur des mouvements novateurs (qu'elle soutenait) qui participaient de l'émancipation, et percutaient déjà et y compris la gauche politique dominante. Il nous a fallu de la clairvoyance et une vigilance ferme afin d'éviter les dévoiements toujours menaçants consistants à faire croire que les changements ne seraient l'oeuvre que des politiques par une alternance aux pouvoirs providentiels.<br /> Le réformisme émancipateur que nous portons n'est pas à justifier auprès de ceux qui, dans les faits, le craignent pour les intérêts particuliers, il n'est pas plus à effacer devant ceux qui tels les illusionnistes nous opposent un grand soir rêvé, il est à expliquer inlassablement dans sa vertu "révolutionnaire" des réalités par les citoyens eux mêmes. <br /> Hélas les auteurs comme toi de cette pédagogie à faire infuser dans la médiatisation sont trop rares.<br /> Sans doute la CFDT doit elle persévérer dans la démonstration qu'elle fait aujourd'hui par le succès de la mobilisation (quasiment inespérée et pour le moins surprenant nos partenaires syndicaux) des principaux concernés, en étant plus présente dans les médias les plus divers au quotidien.
Répondre