Avec la démission de de Rugy, Mediapart et son directeur peuvent afficher un nouveau trophée à leur tableau de chasse.
Est-ce un progrès pour la démocratie? Si la question est simple, la réponse est beaucoup plus complexe.
Bien sûr que la démocratie a besoin de transparence.
Bien sûr que ceux et celles qui exercent des mandats politiques doivent être rigoureux dans gestion de leur responsabilités et des moyens qui leur sont octroyés pour assurer leur fonction.
Bien sûr que l'éthique est très importante en démocratie.
Que des élus de la République, comme d'autres responsables dans tous les domaines qui touchent à la vie économique, sociale, médiatique... bénéficient de moyens liées à leur fonction ne peut pas être considéré comme une découverte par tous les citoyens de notre pays. Et qui pourrait contester que des moyens puissent être octroyés pour assurer ces fonctions ?
Parmi tous ces responsables, que certains puissent utilisés ces moyens sans précaution de distinction entre ce qui relève de la fonction et de ce qui n'en relève pas? Certainement.
Parmi tous ces responsables, qu'il y en ait qui n'aient plus tout à fait conscience que ces moyens liés à leur fonction sont exceptionnels et non naturels? ça ne fait aucun doute.
Parmi tous ceux qui utilisent "extensivement" des moyens liés à leur fonction, qu'il y en ait qui le fassent de manière délibérée et parfois même au-delà des règles? probablement.
Au regard de ces situations, qu'il y ait besoin de faire évoluer les règles pour d'avantage encadrer l'attribution et l'utilisation des moyens liés aux fonctions? c'est indéniable et nécessaire.
Ce qui caractérise une démocratie, c'est l'Etat de Droit. C'est à dire un Etat dans lequel les règles évoluent dans le cadre des institutions prévues à cet effet. Un Etat dont la justice fonctionne indépendamment du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et protège les citoyens contre les atteintes à leurs droits individuels et collectifs.
Sur une échelle de 1 à 10, que l'indépendance de la justice, le manque de rapidité de celle-ci, une pratique parfois plus molle avec les puissants qu'avec les faibles, ne reçoivent pas la note de 10? C'est certain. Cela ne signifie pas pour autant que notre pays ait quitté les rives de la Démocratie, mais montre simplement qu'il reste des marges de progrès important à réaliser.
Alors quand la culpabilité n'a plus besoin de la justice pour être considérée comme évidente. Il n'est pas certain que la démocratie progresse.
Edwy Plenel se défend de jouer les procureurs. « Nous n'accusons pas, nous faisons notre travail de journalistes. Nous ne sommes ni procureurs, ni juges, nous publions des faits d'intérêt public[1] ».
Edwy plenel manie très bien la dialectique. Ceux qui en doutent peuvent lire ou relire le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen "La face cachée du Monde, du contrepouvoir aux abus de pouvoir"[2] traitant de la période où ce journal était dirigé par Colombani, Plenel et Minc.
Edwy Plenel sait très bien que dans une période de ressentiment général vis à vis de la politique et des responsables politiques, il n'a pas besoin de prononcer le jugement. La "vox populi" s'en changera.
Edwy Plenel sait très bien que dans ce climat, tous ceux qui invoqueront la justice, la présomption d'innocence seront inaudibles. Pire ils passeront pour des gens qui veulent se protéger.
Edwy Plenel sait que le système judiciaire en sera affaiblit car il sait aussi que la justice comme toutes les institutions est aujourd'hui regardée avec défiance.
Ce qui est en cause actuellement dépasse largement l'affaire de de Rugy dont je ne veux pas prendre la défense, ne connaissant pas grand-chose de lui et n'ayant d'autres éléments que ceux qui aujourd'hui sont distillés au compte goute et qui est un poison comme le dit Mathieu Caron, le directeur de l’observatoire de l’Ethique publique.
Elle dépasse François de Rugy, car avec la démission de ce dernier, nous assistons à un bouleversement hiérarchique dans l’appréhension des choses. Ce n’est plus le droit qui est premier, mais les accusations portées vraies ou fausse sans possibilité pour celui ou celle qui est mise en cause de se défendre. Le droit est relégué au rang des accessoires.
Alors qu'Edwy Plenel se réjouissant de la démission veut y voir une victoire de l'information, Mathieu Caron, directeur de l'observatoire de l'éthique publique[3] y voit « une victoire de la défiance qui est en train d'instiller un poison dans notre démocratie ».
La méthode qui consiste à révéler au compte goutte des informations mettant en cause des individus en responsabilité avec pour objectif de les faire tomber, (bien que s'en défende notre chevalier blanc national autoproclamé), est-elle une méthode au service de la démocratie ?
Je ne le crois pas. Comme Mathieu Caron, je pense que la démission de de Rugy est la victoire de la défiance dans un moment politique où la sortie d'information au compte-goutte, est un poison pour la démocratie. Elle alimente la négation du droit au profit d'une morale dont on ignore qui la définit.
Quand un Dupont Aignan dit « François de Rugy a enfin pris la décision qui s'imposait dès le début », on devine à qui peut bien profiter cette défiance qui relègue le droit au rang de détail. Aux complotistes à coup sûr, aux citoyens et à la démocratie, certainement pas.
Gaby BONNAND